Contretent
En optique, un prisme est un dispositif utilisé pour réfracter, refléter, disperser ou polariser un rayonnement lumineux [wiki]
Contretent : c'est incroyable, au moment où j'écris, aucun moyen de retrouver ce fichu mot, wikipedia encore, Claudio Veggio, ricercare, pas contretemps, contrepoint rigoureux, polyphonie, dissonance, premier renversement, second renversement, ou harmonie tonale. Le mouvement de contretent m'a longuement habité hier, en de longues heures à dicter mes pensées. Deux lignes mélodiques se succèdent, musique renaissance, clavecins. J'écoutais Recercada per b quadro del primo tono, par Catalina Vincens, pour la première fois je l'écoutais les yeux fermés. Habituellement je suis en train d'écrire, écoutant pour la cent et unième fois Il Cembalo di Partenope, en boucle comme des spirales. Chaque fois au même instant la musique m'arrête d'écrire, le même morceau, je le contemple un peu avant de réécrire. C'est un contretent, deux lignes mélodiques, parfois plus. D'abord elles se succèdent, ligne mélancolique, ligne exaltée, ensuite elles se confondent, elles se rapprochent, elles se répondent et s'enrichissent, elles tournoient, s'entremêlent, se mélangent, puis à 3:05 un tournoiement absolu tel la corne d'une licorne ou de Nerval, dans une tension vers l'infini, dans une envolée. Le mélange a formé une nouvelle teinte, celle de l’œuvre au jaune, de l'androgynat.
Il y a ici du sublime, je comprends à présent pourquoi chaque fois ce morceau m'arrête. Il y a du contretent dans tant de phénomènes du sublime. La musique, le blues, la tapisserie d'Ouïe sont à contretent, elles invoquent des sentiments dissemblables et dans une danse elles s'associent et créent un lieu unique où elles peuvent coexister, un ailleurs absolu dans lequel leur tournoiement nous a élevés. Et ce lieu est tout proche du basculement, il est sur le chemin. Je contemple mes pensées et souvent le contretent apparaît. En musique, en poésie ou au cinéma, le contretent avance comme une succession, comme une sinusoïde laissant au-dessus et au-dessous de la ligne des hémisphères blanc au-dessus et noir au-dessous, se succédant, plus ou moins haut, avec des ascensions, des descentes, des angles qui s'enrichissent, se répondent, toujours de noir et de blanc, ils se succèdent, puis la ligne s'ouvre et donne place à un invisible. Nous dansons dans l'invisible.
Dans la musique, le film ou le poème, la succession des instants dessine les va et vient du contretent. Qu'en est-il d'un tableau, d'une photo, d'une tapisserie, ces œuvres dans lesquelles tout se révèle en même temps, où tout coexiste ? Le voyant rimbaldien, incapable de tout voir à la fois, observe, promène son regard de détail en détail, d'indice en indice, allant de différents angles et de différents grossissements, révélant une temporalité, une succession dans le cheminement du regard, un regard guidé par une valse entre le contemplant et le contemplé. Les couleurs sont ensemble, les moments coexistent. Et pourtant contretent il y a, créant l'invisible sur la brisure, la fine limite où s'irise la Lune. Et à un instant le contretent nous saisit, il nous captive, comme le morceau de musique que l'on écoute en écrivant, comme une tapisserie d'enfance qui nous arrête vingt cinq ans après. Le contretent nous élève sans notre accord, sans notre compréhension, et c'est ce qu'il a de sublime, il nous élève sans qu'on le sache.