Bourse de Commerce - 28 juillet 2024
L'artiste coréenne Kimsooja a changé la Bourse en un gigantesque miroir. La dame chinoise sur la fresque m'a immédiatement semblé être Amaterasu, à l'intérieur de son miroir. Au Japon il ne faut pas présenter ainsi un miroir dirigé vers le ciel, aussi il faut se méfier de la contemplation d'un miroir, il y a de la crainte de se laisser aspirer dans le reflet. D'ailleurs je suis sortit de cette longue contemplation empli d'une forme d'angoisse succédant à d'agréables vertiges en vertiges.
Plus tard dans l'exposition je prendrais les notes suivantes :
Regardant un miroir, l’œil peut focaliser sur la surface, le rebord, un relief à la surface du miroir, ou l’œil portant sur le lointain peut se laisser aller à la confiance, à la réalité du reflet
Le reflet du monde qui nous entoure est bien plus informatif que le reflet de nous même, figure figée, toujours de face, là où le miroir nous présente le monde sous des angles nouveaux
Le reflet d'Amaterasu est-il Izanami ? Déesses d'ombre et de lumière, Izanami enfermée par son époux dans l'obscur pays de Yomi, Amaterasu lumière de ce monde s'enfermant dans une grotte qu'elle ne peut qu'éclairer
Le miroir arrondi, sous un certain angle prendra la forme d'un œil et le miroir nous scrute et nous questionne, il nous observe à son tour, nous plongeant dans un angoissant vertige
L'éblouissement jaillit de la conjonction de deux reflets, comme jouant une clé à la main, promenant une petite lumière sur les murs, l'amenant par gestes inverses sur le miroir jusqu'à confondre précisément la petite lumière projetée par la clé avec le reflet de la clé, alors la conjonction crée en notre œil, celui-là même dont dépend la convergence, une lumière éblouissante, bien plus éblouissante que la source première de lumière
Me sont aussi venues quelques réflexions sur l'extase :
Sur le noir profond se distinguèrent deux traits de lumière : un regard, un sourire
La totalité des Tapisseries disposées en carré comme au musée avec moi devant ou plutôt dans Désir, névralgiquement attaché aux cinq sens et à l'éblouissement intérieur
Au Miho jinja m'apparut Amaterasu accordant sa grâce aux six dames, elles me sont apparues ensemble, en continuité, expressions du même principe
Comment savoir laquelle on regarde d'Izanami ou d'Amaterasu, ombre ou lumière, comment savoir de quel côté du miroir nous nous trouvons ? Izanami semble bien plus accessible, dans les délices de l'ombre, qu'Amaterasu, s'élevant dans les reflets célestes
Aucune image ne sera le principe véritable, même Izanami, même Amaterasu, même six dames, même la dame à la licorne et au miroir, ne peuvent l'être entièrement, le principe est un principe, habitant plus ou moins ses intermédiaires, non essentiellement, mais dans notre cœur, l'espace d'une extase, loin bien loin de l’œuvre
Expression libre sur le thème
Peut-être que tout est dit ? Du moins l'essentiel.
Alors faisons l'ouroboros et revenant incessamment à l'origine, redéroulons la logique. Où reprendre ? Où un cycle a-t-il laissé place à l'autre ? Où le septième jour a-t-il laissé sa place au premier ? Aussi loin qu'il puisse m'en souvenir peut-être. J'aimerais alors aussi avant, avant ma naissance, comme Lou Reed je souhaiterais être né "a thousand year ago".
Au début il y eut La dame à la licorne
Que je me souvienne, que je me souvienne, ce livre, ce site, son introduction, son principe - chemin désigné par les lapins, l'énoncé de ce principe, sa déclinaison, son entendement, son application. Ce qui importe alors, c'est le principe, s'exprimant en Amaterasu et Izanagi, les six dames également, Buffy, Sandy et Dorothy, Sylvia, Athéna et Isis, Vierge et Vierges noires. Il s'agit d'une dualité du féminin. Dualité agissante de la reconstruction de la femme, dualité élevant l'homme à sa poursuite. Toucher est l'extase, le contentement absolu, immédiat, tout est ici évidence, dans le calme immuable de la nuit, mais dans toute son éternité, il est marqué du même oubli que le plus rapide des regards. Qu'y avait-il avant ce commencement ? Si l'on croit au recommencement, il s'agissait de Vue. Éternité de Vue d'un côté, éclatante brièveté de Toucher de l'autre. Contemplation et éblouissement. Vue et Toucher se rejoignant, se continuant. Odorat est une erreur, c'est la noce avec la licorne qui n'est en elle-même pas le principe, elle n'en est qu'une pièce, certes prometteuse. Ouïe est une compréhension immédiate de la vacuité de la licorne, vivante elle est le réceptacle qui accueillit la lumière, mais déjà à Odorat elle était partie la lumière, il n'y avait qu'une pauvre licorne. A présent, la licorne est autrement habitée, débordant de luxure, "belle, comme agitée par les vagues", la dame n'a plus que son cœur pour pleurer et elle est si seule là où elle est, de l'autre côté du soufflet. Elle ne comprend pas d'abord, puis elle s'accoutume à l'ombre, elle ne tente pas de l'éclairer cette ombre, sachant que quelque chose d'impalpable comme une promesse se perdrait irrémédiablement. Cette ombre elle la fait sienne et oubliant la vue, elle ressent autrement, de ses autres sens, ne cherchant plus à voir. Découvrant les réalités intérieures, ces réalités tout entières, sachant à présent la dimension qui ne se peut voir, la disposition des pièces de son chez-soi intime, voyant les rouages d'elle-même, elle trouvera cette pièce qui se représente par la licorne, cette part d'elle qui ne veut autre chose que d'accueillir les esprits. Désir, la dame maîtrise le faucon, elle connaît par cœur le plan, elle apprend à en jouer, allant d'une pièce à l'autre, dans la maîtrise de ses pas, elle aménage la pièce licorne de beaux livres et de belles prières, espérant l'éclairer d'intelligentes lumières. Sur Goût la leçon est oubliée, les signes et les mots ne valent plus, seulement il est permis d'avoir en soi de la brise soulevant le voile, la brillance de la perle, le verbe d'une perruche. Ici seule vaut l'ambiance, forme d'influence spirituelle, d'envie qui d'elle même nous attirant dans la pénombre, lueur grandissant, nous dirige dans les complexités de nous-même sans même nous connaître. Nous, gentille perruche, la dame ne peut tout nous dire, elle nous dit l'essentiel, nous élevant à elle. La vue à cet instant nous revient, tout autour est métamorphosé, nous découvrant un regard nouveau, regard véritable de l'âme à la quête d'âme, âme s'élevant en miroitement, se brisant sur les prismes des cristaux, intérieurs de pierres, blanche, noire, améthyste, brillant en mille morceaux colorés, allant dans la blondeur des blés. Nous nous reflétons ensemble dans le miroir orné de perles, c'est notre miroitement lui-même qui bascule de l'autre côté du miroir. Conscience transposée, projetée de l'autre côté.
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