Le miroir des âmes simples et anéanties et qui seulement demeurent en vouloir et désir d'amour. Marguerite Porete. 1290

Il faut remonter le temps et oublier le temps, être contemporain de Marguerite Porète, se sentir tout proche d'elle, comprendre que c'est à nous qu'elle parle, que c'est de notre âme qu'il s'agit. C'est nous dans notre instant et dans notre vie, elle nous connaît chacun, véritablement, entièrement, par l'immuable de l'âme, elle sait qui nous sommes de l'intérieur. Si tout est intérieur, alors l'âme qui est à l'intérieur, âme qui aime Dieu, aime Dieu qui est au dedans ? Non, car il n'y a pas d'intérieur dans l'anéantissement, et que Dieu se voit par son reflet, par projection sur un intermédiaire. S'il n'y a pas de dedans ni de dehors ce n'est pas pour autant que Dieu est au dehors, il est partout et nulle part.

Charité, nous sommes sommés de vendre tout ce qui nous appartient pour le donner aux pauvres. Comment donc vivre dans ce monde ? Comment nourrir ses enfants dans ce monde? Marguerite est une béguine, il ne faut l'oublier, elle n'est pas de ce monde, elle contemplait des journées durant, quand nous n'avons que de brefs instants pour tenter de pénétrer les sphères spirituelles. A moins que le spirituel nous accompagne sans cesse par la charité, alors d'une charité de chaque instant, une charité de patience et de tolérance, une charité qui se refuse à porter jugement sur son prochain et sur ses actions. Mais serait-on charitable même avec celui qui nous menace et menace notre équilibre ? Ce malintentionné, charité nous inspire à l'éviter et lui souhaiter un jour d'avoir de l'amour.

L'anéantissement est un abandon de soi à l'absolu, une incandescence, la fonte de l'égo est indispensable à la découverte de l'universalité de l'âme. Et cette âme, tout anéanti, nous ne nous questionnons plus à savoir si elle est à nous, si elle nous appartient, car elle est en toutes et tous pareille, alors cette âme/miroir n'a pas d'importance en elle-même, le miroir a peu d'importance, c'est le reflet lumineux qui importe. Anéantissement n'est plus même possession de l'âme, ni même sa connaissance, mais son expérience, son effet, son jeu, ses reflets. L'important du miroir est qu'il ouvre sur un autre monde qui se pénètre par la vue et par le cœur, un monde semblable mais régi autrement, aspirant à l'inverse, au départ, un autre lieu, un non lieu. Par là peut-être, le non-lieu, l'u-topos, l'Utopie. Ici la capitale est-elle sombre ? De notre réalité oui, car il n'y a pas de lumière dans le réel arrière d'un miroir. Ici la rivière est-elle sans eau ? Oui car nulle matière n'est ici de la nature qu'elle est chez nous. La rivière est rivière mais elle n'est pas eau.

Thomas More définit ainsi l'aspiration la plus grande : la volupté

Parti de rien. 3 juillet 24

C'est sans avoir rien lu et sans rien écouter que je me mets au clavier, curieux de ce que vais écrire. L'idée me vient de parler de mon quotidien et des pensées qui l'habitent. Peut-être y trouverais-je le matériau de développements intéressants, de découverte de la règle par l'exemple. Peut-être aussi pourrais-je reprendre des pensées, des symboles, partis de mots récurrents : miroir, utopie, volupté, bienveillance. Je décroche un peu, repense au travail. Mets mon casque, Recercada di ma ca in bologna.

C'est l'écran blanc. Une tasse vide de pensée. Et de quoi espère-t-elle être remplie ? Voilà que mon fils ne dort pas, on l'entend proclamer des tirades de lalalalalalalas.

J'ai un certain sentiment d'avoir dessiné une porte et la possibilité d'un espace, dans le jeu du miroir et de la dimension absente avec l'idée du mur derrière le miroir, absence, Utopie et pourtant immensité sans limite et lumière, se pénétrant par le regard et par la pensée. Tel est le mécanisme, mais en parler encore et encore serait observer le doigt et non la Lune qu'il désigne. Ce dessin du miroir appuie la confiance en la possibilité d'interprétation de ce qui se déroule dans le miroir, de sa légitimité.

Cette partie du site est une tanière, au fond d'un terrier, d'un passage secret dans les pages. Peut-être serai-je à jamais le seul à venir ici. A qui pourrais-je bien révéler le secret ? Au fait, je l'ai déjà dit à mon fils, celui de 8 ans. Écrire ici a un sens, ici est de l'autre côté du site. Ici nous sommes dans l'autre côté du miroir. Le site a créé une scène, permettant un espace symbolique d'envers. C'est ici à présent que je compte écrire, autant que possible en direct, là où le site a été relu et archi-relu, écrit comme un livre, envoyé même à des éditeurs. Ici est l'après site, l'après Tapisseries.

Encore une fois je dis le comment mais je ne dis pas le quoi. Et comment dire ce quoi par les mots ? L'image, le déroulé, les harmonies, le disent bien mieux que les mots. C'est certainement pourquoi l'on écrit des histoires, des récits épiques et des contes de fées, et pourquoi l'on écrit de la poésie en rimes ou en images.

Un récit, voilà qui reste, un récit. D'où devrait-il venir ce récit qui dirait le quoi ? Serait-il tout bien réfléchi par avance de A à Z ou devrait-il en lui même être l'authentique déroulé, en temps réel, une pensée qui écrit comme elle va, comme je le fais en ce moment, sauf que ce n'est pas un récit, c'est encore du blabla, inlassable blabla de ces analyses.

C'est fou quand j'y pense, j'ai écrit un livre de cette manière, personne ne l'a lu et parfois c'est comme si je n'avais jamais écrit. Un livre sur un homme qui redécouvre les Tapisseries avec un projecteur de diapositives. J'y pense, peut-être le relirais-je et il aurait sa place ici, du côté secret du site. Ce serait amusant de le relire à présent, peut-être cet été ? Au Japon ? Ce serait cependant dommage de ne pas profiter du Japon, de ne pas y être vraiment à m'emplir de lui.

Les Tapisseries me semblent déjà loin. J'en suis au tissage, aux laines, à Bruges en 1515, à Utopia. J'ai visité Aubusson où la teinturière au bord de la rivière m'offrit des écheveaux des couleurs des Tapisseries. J'ai appris que souvent à l'époque c'est le cartonnier qui ajoutait les détails, le mille-fleurs, et les animaux. Alors peut-être que les lapins sont une idée de Bruges. Il y a trop de signifiant dans chaque tapisserie, ce serait difficile à croire. L'idée ajoute au mystère des Tapisseries en étant par elle-même une pensée mystérieuse. Aussi, en haute lisse où la tapisserie se voit bien à l'ouvrage (contrairement à la basse lisse d'Aubusson où la lissière reproduit le carton, la tapisserie se voyant par un petit espace de revers), la lissière y est pour beaucoup dans l'ambiance, dans la finesse et le luxe, dans la fine émotion de la dame, des reflets de sa robe et des exhalaisons presque parfumées. Et si je me permettais une histoire ici justement, dans l'intention des Tapisseries, ne serait-ce pas beau que les Tapisseries se dessinent à deux ? Ils se retrouveraient autour du métier à tisser. La magie des Tapisseries est qu'elles sont de l'instant de cet amour, qu'elles s’entremêlent dans le récit et ses symboles, et la réalité. J'y ai déjà un peu songé à cette histoire, à L'île d'Yeu et à Aubusson, mais c'est maintenant que je vois ce cœur de tourbillonnement du féminin et du masculin.

Une pensée m'est revenue quelques fois ces derniers temps : JK Rowling. J'ai d'abord appris que les Tapisseries recouvraient les murs de la salle commune des garçons dans Harry Potter, dans le film en tout cas, j'ai vu aussi que l'on pouvait visiter la salle dans le jeu vidéo, j'y ai songé, c'était un soir où j'étudiais la disposition des Tapisseries au château de Boussac, il y avait un problème de nord-sud, ce n'est pas encore résolu, en tout cas elles sont regroupées correctement. Une référence que m'adresserait Jacky Lorette indiquerait que le regroupement était le même dans le château précédent, celui de Joyeuse. A cet instant même, je perdis tout intérêt pour Boussac, suffisamment convaincu qu'il y avait quelque chose d'assez solide pour passer à autre chose. L'idée de lire Harry Potter à mon fils de 8 ans le soir est donc venue par évidence, après Vingt mille lieues sous les mers et Bilbo le Hobbit. Ce soir d'ailleurs, il est venu avec trois papiers, pour dire notre avenir, trois papiers froissés avec le XIII de la malchance, le III qui porte bonheur avec un trèfle dans le coin du bas, et l'ouroboros (le recommencement m'a-t-il dit). Je lui ai tiré son sort à mon tour, après avoir retiré le diable, la mort, le pendu, la tour Dieu et peut-être une ou deux autres. J'ai fait longtemps tourner les cartes sur la table pour les mélanger, avant de bien les séparer les unes des autres. Il a tiré la carte qui était juste sous son nez, faite pour lui, La Lune. Je lui lis l'interprétation dans le petit livre d'introduction au tarot, avec une étude symbolique puis les aspects positifs, je ne lus pas les négatifs. Il ne dit pas grande chose, puis en se brossant les dents, que la carte disait bien l'avenir, comme il allait se coucher que la Lune annonçait les rêves. Harry Potter, donc, et JK Rowling. Je n'ai pas suivi la chose de prêt, elle est qualifiée de transphobe et elle persiste, elle est dénigrée de millions de fans de son œuvre, des acteurs même. Sa page Wikipedia est longue comme le bras, reprenant la controverse. Je ne sais pas tout mais quelque part il y a l'idée que le changement de sexe de l'homme en femme a quelque chose de misogyne, que c'est prendre à la femme ce qui lui appartient. En personne intelligente elle refuse de se taire, convaincue que ce qu'elle dit est vrai, et que ce qui lui est reproché, elle ne l'a pas dit, pas pensé, pas signifié. Je ne sais pas, peut-être a-t-elle dit autre chose, mais j'aime l'idée qu'il y a de l'imposture. Défenseure de la femme de l'intérieur. Je rejoins une pensée, que me vaudra-t-elle ?, que tout l'amour et le désir, l'extase même digne de projection dans l'éternel, est dans le plaisir féminin, que dans l'étreinte c'est ce plaisir et cette jouissance qui emplissent la scène de leur ambiance, que c'est la femme qui montre le miroir. Homme qui se veut femme du dehors est-il femme du dedans? Y croire serait croire que le dehors importe tant, que le féminin se crée par artifices. Peut-être bien que ces hommes sont en fait si féminins de l'intérieur qu'ils voient leur reflet si cruellement qu'ils se veulent femme du dehors. C'est bien possible et JK Rowling n'aurait pas évoqué cette possibilité. Intelligente comme elle le semble, elle a dû y songer, si, car bien sûr c'est l'idée acceptée de la raison du transgenre. Ce qu'elle dit est qu'il y a de l'impossible imposture, que des hommes se revendiquent femmes c'est perdre de l'expression des femmes, c'est leur voler la parole. Je rejoins JK Rowling par l'idée qu'il y a un ineffable, que l'essentiel ne passe pas, que n'est pas femme qui le veut, que ces intuitions qui s'expriment leur appartiennent. C'est cruellement vrai, et pauvres nous n'avons que nos yeux pour pleurer qui espèrerions éventuellement devenir femme. . C'est cruel mais c'est comme ça. JK Rowling s'en moque. Ineffable, immuable féminin.

Pour finir, un extrait de mail adressé à Jacky :

« ... Votre intervention au congrès a révélé l'intimité de Mme Teodorescu : les Tapisseries sont une pierre philosophale. Oui, "essayer de comprendre une fascination".

...

J'ai été en une forme d'ébullition autour de (St) Thomas More. De sa relecture, il reste une porte, un code d'entrée vers l'autre monde que je combine dans la double négation d'un Nihilisme Utopiste. Un jour je dirai ça clairement, c'est fabuleux ce néant dans lequel se développent les plus fragiles des constructions de pensée. Royaume des royaumes. Reste à développer une pensée, à avoir un sujet.

Je retourne de ce pas au développement d'autres délires qui ne valent pas d'être retranscrits. A très bientôt

Ao »

Mais ce n'est pas l'histoire que j'ai envie de raconter maintenant

Je veux des sens, comme "Romance gothique". Pour l'écrire je venais de parcourir un site d'images gothiques sur Instagram. Comment s'appelait-il déjà ? Je vais chercher ça et peut-être une nouvelle fois décrire les images.

Des bribes de ci de là viennent dessiner un portrait charmant. Elle est au début cette femme rousse d'une peinture de Klimt, lascive, allongée sur des draps blancs, le poignet à la naissance de sa chevelure, les jambes penchant, les yeux clos, elle ressent les va-et-viens dans une joie lisse, permanente, orgasme féminin extatique et doux gémissements. Elle est entre deux fenêtres laissant percer la Lune, cheveux et ongles longs, dépasse une corne, pendant à son cou un long, long collier descendant bas, très bas. Elle caresse les claviers de l'orgue de bois, aux vents agités par de plus douces mains encore, elle sourit et regrette, injustice allant telle une embarcation sur les cercles du lac. Éternel va-et-vient, gémissements et soupirs, lentement élevée d'avant en arrière, de haut en bas, laissant sa tête basculer, et je sens avec elle les caresses intérieurs en frémissement au seuil de la jouissance, mais assez doux, caressant l'inlassable fourrure, d'arrière en avant, de haut en bas, saisie par les épaules et tirée plus fort encore dans son mouvement incantatoire, pénombre et apparition, le plaisir est là au dehors, il vit, il est, il se verrait presque, je ressens avec elle et par elle, ce qui est apparu là dans un prisme, je ressens avec elle jouissances nouvelles. Et plus encore je lui donne jouissance et voluptés.

Des six dames sur les Tapisseries. J'en ai assez de ce mot tapisserie ! J'en ai assez, assez, assez de ce mot ! Et pourtant c'est le titre de mon site et de mon livre. Oui, 6 tapisseries, l'énigme. Mais pas ici, ici est l'envers des tapisseries, comme un envers de miroir, la profondeur, le monde, autonome. Ici de l'autre côté de la surface du miroir, c'est l'intérieur de la tapisserie, la dame, la licorne, ici, sont réelles. Ici comment dire que je reparle des tapisseries ? Je m'étais passé de La Dame à la Licorne, à présent je veux me passer de "tapisserie". Il est question de faire l'expérience du sixième sens et nous, pire encore que de nous en tenir à la vue, nous en sommes à un a priori de la vue, celui d'un support. Il en fallait un, et de la plus grande des finesses, du plus haut luxe. Ce nom ne peut être le support. Alors en miroir, ici je parlerai de La Dame à la Licorne.

Je reprends, "Des six dames sur les Tapisseries", laquelle est dans cette langueur ? Toucher, Ouïe ou Vue. Passage par la Galerie du site. Toucher, oui la caresse de la corne et de la lance, sourires esquissés, montée vers l'orgasme. Ouïe, ni la dame ni l'accompagnante ne jouit, la licorne est "belle comme les vagues". Vue, ici non plus. Revoyons les autres. Odorat et Désir, non. Goût !

C'est d'elle que le premier regard tombe amoureux, pas encore ne m'a-t-elle remarqué, oh si, mais elle ne me porte pas le regard, elle ne quitte pas de ses yeux clairs la verdure de l'oiseau et s'y reflète une âme sensible et douce comme les lignes de son corps, sur ses lèvres une brillance suscite un sourire, séduction séduite, descendant dans les délires de sa parure. L'or est une stupeur, un saisissement, un éblouissement, tout ici est éblouissant autour du soleil de la robe étincelante, ici tout est une forme d'entrée dans le plaisir, c'est ici le seuil de la jouissance, c'est ici qu'il faut se rendre, ici est la porte, l'orgasme ne se représente pas, c'est sa condition qui se dit. La dame, regardez où va la scène, regardez bientôt elle nous regarde, repose la perle et nous invite de la main à la rejoindre, tout près d'elle, glissant le bras derrière elle, vous contre elle, tout proches, frémissent vos lèvres, baignés de son regard, joue contre joue, près à vous toucher, à fleur de peau vous ressentez comme elle ressent, et tout est luxe, calme et volupté. Elle vous entraîne à elle et de sa jouissance vous jouissez vous-même et l'âme, le regard de la perruche darde sur vous, simplement, et se réjouit de vous. L'âme de la dame et votre âme vous réunissez dans un même soupir. Parvenus à l'extase, vous vous sentez monter à la brisure du ciel et porté par son regard, en suspension de temps et de lieu, vous avancez vers la surface du miroir et ne voyez à présent que votre reflet et d'échanges de regards sous l’œil mi-clos de la dame, tout se reflète et c'est ici que la scène a sa réalité, c'est ici que se meuvent les intérieurs, découvrant qu'ici ce ne sont que les corps qui dansent, et de l'autre côté c'est l'intérieur qui se voit.

Le contenu du reflet, son espace, existe immuablement, seulement par le miroir il se voit, fenêtre ouverte sur lui, mais sans miroir il est toujours là, dans une dimension perdue. Danse des âmes dans l'éternel désir, saisissant la langueur de la caresse dans une crinière, comme les deux sensations se continuent, de la dame et de la licorne. Par le jeu des reflets vous êtes la licorne et la main s'entremêle dans votre crinière, vous caressant, elle incline votre tête vers la surface du miroir et vous ne voyez plus le cadre ni la scène, vous sentez darder sur vous l’œil mi-clos et ici dans l'autre scène, de l'autre côté, ici dansent les âmes en longueur verticale, s'élevant en fins entrelacs, en volutes s'effleurant.

Majesté, ô Majesté prenez-moi auprès de vous, caressez-moi tendrement et d'un air grave regardez moi, et dites moi de ce regard les antiques et plus antiques encore des amours. Je me veux lover en vous, ma Majesté, et en vous agiter le plaisir et tendre ce corps vers de tendre délacements, allant et venant, dame de regard nos âmes s'enlacent de l'autre côté du miroir. Et l'une en l'autre font monter le plaisir, au seuil, au seuil, au seuil, se tenant sur le seuil, ajoutant du plaisir au plaisir, au va-et-vient, et tendant, vibrant de l'archer sur les cordes tendues, tendues, retenant son souffle et partant de ce corps pour tenir, encore faire vibrer les cordes de musique, encore et encore, ici jamais ne cesse le plaisir et plus encore, plus encore et l’œil tout à fait clos à présent nous sommes dans l'ombre la plus obscure des obscures et pourtant croit en elle la lumière cendrée de la Lune, dans nos regards clos, dans le clos du clos de l'âme dans l'envers du miroir nous sommes ensembles et anges aux ailes déployées nous faisant face de cette distance emplie de nous-même, rien d'autre au dehors, ici ce sont nos corps qui se conjuguent et le plaisir est plus grand encore que l'union des corps et ici croit un écho, vibrant écho dans ses parois d'or et fascinante sonorité de l'amour vibrant en lui-même. Qu'as-tu à m'apprendre ici, âme de l'âme, ici je n'ai rien à t'apprendre dans l'usage des mots, ici les lèvres bougent mais rien n'est prononcé, ici l'énoncé rejoue la scène et les sensations rejaillissent, sans eau pourtant elle coule sur nous. Ces images, ces tableaux intérieur, pourraient aussi bien être des tapisseries et l’Ouroboros a trouvé sa queue, les tapisseries du plus superficiel et du plus profond d'elles-mêmes.

La nuit

Elle est si unique, si constante, la nuit. Les jours se multiplient, chaque jour est unique, il a son histoire. La nuit vient comme un apaisement, posant son réconfort. La nuit, évidente, appelle à ce qui a été, à ceux qui nous ont précédé ici, une foule d'instants. Et les yeux clos sur l'ombre, le sommeil complète la nuit.

Un sujet certainement rabâché que celui de la nuit. Il y aurait de quoi écrire un livre, de quoi tenir un site. De quelle partie de la nuit alors parler ? De la mienne certainement, sans démonstrations, sans autre support que ma propre nuit. J'écris, à la fenêtre "le Soleil se noie dans son sang qui se fige", noircissant le ciel. Des bribes de flûte me parviennent, montant du Zoukalo, aussi le vent ou les voitures, des voix par une fenêtre et au loin des basses. L'écran est réglé en sombre, le clavier rétro-éclairé fait l'interface, les lettres telles des étoiles sur les touches, voilà un détail auquel je n'avais pas songé en achetant cet acer swift slim, je l'aime bien cet ordi, comme ce net book sous linux que j'avais gardé des années.

J'ai eu une période astronomie, je montais sur le champ ou j'allais par les chemins, je me souviens la constellation du cygne, diamants sur un velours noir. Ce que j'ai préféré dans ces sorties, c'est la nuit, le ciel constellé, j'ai pensé que ce même ciel est vu depuis des millénaires, que dès que se franchit la porte du foyer, c'est ce ciel sur lequel se projettent les songes. Au dedans, valse la pièce à la flamme d'une bougie, et valsent ses ombres mouvantes, faisant des recoins que nulle lumière ne viendra éclairer. La nuit apparaissent des ombres invincibles. Ombre où tout peut disparaître, ombre de l'oubli.

Profitons de ne pas dormir pour songer à cette ombre exhalant les ténèbres, allons par les arbres gémissant, foulant les feuilles, voyant les fins nuages enlacer la Lune. Ici tout s'éveille, le vampire se lève dans sa tombe, il regarde la nuit, il nous suit sur ce chemin, ne froissant pas le sol, il nous suit, nous, humble visiteur, il nous suit, scrutant cet espace entre le col et la chevelure, peau sous-tendue, c'est d'ici et seulement d'ici qu'il se soucie. N'oublions pas qu'ici est un voyage en votre intérieur, que c'est vous ce vampire et que c'est vous allant son chemin, à sa merci. Le vampire plane, sous sa cape, fondant sur la nuit, ses griffes vous saisissent par les épaules, vous projetant la tête en arrière et dans la bascule vous croisez son regard embrasé, les crocs fendent la peau, cet ici si sensible et vous sentez battre au dehors votre sang, le vampire de son baiser se lie à vous. Vous, votre sang, êtes du vampire, vous partagez l'ivresse, et la douleur se mêle à l'envie, pente vers la mort, à la dernière goutte, douce langueur et intimes caresses. Une envie qui va, comme des mains frôlant le corps, comme des lèvres posées sur la bouche, comme un soupir à l'oreille, comme un alcool filtrant, ivresse immobile, nous caressant en ces endroits sensibles que nous seul savons, il irait là où se fait l'ombre en nous, là toucherait le baiser du vampire, nous irions l'un mutuellement à l'autre, et nous serions vampire nous-même, nous abreuvant de délices, de désirs des noirceurs de notre âme. Notre âme, ce diamant obscur aux inscriptions infernales.

Je viens de tout perdre

J’ai commencé à écrire il y a un peu plus d’une heure. J’écrivais directement sur le site, directement sur la page, comme installé dans mon terrier. J’en suis arrivé à faire un copier-coller du chapitre 8 du Livre des Proverbes. J'ai gardé seulement quelques passages avec des (...) pour indiquer qu'il en manquait, même beaucoup. Et en voulant modifier la dimension des (...) j’ai passé toute une ligne en petit. Pour gagner du temps, plutôt que de souligner et changer la dimension, j’ai cliqué sur la flèche de retour en arrière en haut de l'interface. Je me suis retrouvé le nez sur le texte La nuit, tout avait disparu. J’ai été piocher dans les sauvegardes, rien, j’aurais dû actualiser le site et là j’ai perdu tout ça. Certainement on pourrait se pencher sur la circonstance, mais plus tard peut-être, là, à présent, c’est le moment ou jamais de piocher dans la mémoire tant qu'elle est vive, de retracer ce qui s’est produit, ces événements de pensée, de faire une plongée en des récifs de lignes et de mots.

Quel était le titre de ce texte ? Je ne sais plus. Je suis parti d'Emmanuel, après ce dimanche de second tour des législatives, nous écrivant une lettre, à nous les français, dans l'avion, petit Emmanuel fâché par les élections. Parmi le vacarme, Attal a évoqué au sujet des autres "une politique nihiliste". Un mot presque inusité, laissant une pleine ambiguïté sur sa signification, c’est très politique, c’est dire sans dire et rétorquer à l’autre qu’il n’a pas compris, qu’il n’y connaît rien en mots. Nihilisme est donc une insulte : une entreprise néfaste d'anéantissement, un truc de FN, de fachos. Les mots ressemblent mais ce n’est pas ça. D’abord ce n’est pas de la politique, car il n’y a pas de politique intérieure. Et puis s'il s'agit effectivement d'une négation, ce n'est pas pour autant que c'est le néant, c'est simplement une chose qui ne se conçoit pas comme une réalité ordinaire. Et pour se concevoir, cette chose attend de nous détachement et légèreté, n'exerçant pas même l'emprise de nos sens, ni l'emprise de la pensée, il y a une confiance que cela existe sans nous, justement, il ne s'agit pas de néant, ce n'est pas rien, c'est bien plus que tout ce qu'il se peut concevoir. Mais ce n'est pas ici. Parlons d'utopisme nihiliste et non plus de nihilisme utopique, car c'est le non-lieu qui importe, et l’utopisme nihiliste n'est ni une double négation, ni un pléonasme, il est utopisme, et parmi les significations du mot, il s'agit de l’utopisme qui tient de son non-lieu, de sa non appartenance à notre ici, de son incompatibilité intrinsèque toute forme d’ici.

Dans un mail à Jacky, j'ai écrit au sujet de ce lieu où se tiennent les plus fragiles des constructions de la pensée, "Royaume des royaumes". cf Jean 18:36 “Mon Royaume n’est pas de ce monde”. Ce serait prétentieux de dire qu'il s'agit du même royaume, cependant il y aspire, il s'en inspire. L'un comme l'autre ne sont pas de ce monde. Ce monde, notre monde, est ce qui se voit, se touche, se perçoit par les sens, ce qui se représente à l'esprit, et même les réflexions et les créations de l’esprit, tous ces artéfacts qui font sien l’espace et les pensées. Le Royaume n'appartient qu'à lui-même, et à lui seul. Le Royaume ne se possède pas, il n'est pas de ce monde et pourtant il est, sans-lieu, u-topos, utopique.

Celui qui parla ainsi de son Royaume, parlait du Royaume de son Père. Au sujet de lui-même, il ne s'imaginait d'évidence pas roi, lui qui après avoir opéré le miracle du partage des pains, poursuivi par la foule, alla se réfugier sur la montagne, de peur qu'ils le portent en triomphe et fassent de lui leur roi. Le Christ refusa d'être le roi des hommes, pourtant il revendiqua le Royaume, hors de ce monde. Jésus ne nous invita pas à l’adorer, il nous invita à l’imiter. Nous-mêmes, sans-rois comme dit Thiellement, mais pas pour autant gnostiques, simplement sans-rois, non-rois, aspirons au Royaume.

L'on ne peut pénétrer le Royaume, il n'est pas de ce monde, c'est sa condition première. Comment alors aspirer au Royaume ? C’est par une interface, une mise à échelle, une coexistence : ce qu’Alain Cazenave qualifiait d’anthropomorphose divine et de théomorphose de l’homme (nous reviendrons sur la situation complète, promis). Cette coexistence par projection du Royaume sur un artéfact et l’association de cet artéfact à nous même a quelque chose du miroir. Le miroir est l'ouverture vers un autre côté impénétrable, un non-lieu, de l'autre côté de la fine, très fine surface réfléchissante, presque inexistante. L'interface est si fine qu'elle n'est pas plus un lieu que l'espace qu'elle crée, lui-même interface avec le Royaume : c'est l'envers, c'est l'autre côté.

Ça serait drôle à dessiner, au début un peu comme la gravure de l’alchimiste qui s’extrait de la voûte Céleste, mais il ne pénètrerait pas ce qui ne peut se pénétrer, qui n’est pas un lieu, qui ne peut se concevoir, s'habiter. Le Royaume ne peut même pas être idéal, il ne peut pas s’imaginer. Dans le reflet cependant, il s’imagine, il se projette. Entre notre monde et le Royaume, la fine très fine épaisseur de la sphère se décolle pour créer un espace en lentille, vide, aucun air de notre monde ne s'y immisce, sans matière, sans ici, et pourtant pas du Royaume, car cet autre côté se conçoit, il s'accède en pensée, il se possède d'une certaine façon, mais d'évidence il est alors sous notre emprise, si l'on veut qu'il brille de la lumière du Royaume, qu'il en soit l'écran de projection, ce sera sans possession, sans contrôle. Cette lentille est une fissure de la fine interface, la fine sphère, qui parcourt l’infini de l’Univers. Une section infiniment grande de la sphère resterait une ligne droite tant l'Univers fuit dans ses possibles à toute conception, l'immense section tendrait vers l'infinitésimale courbure, si infinitésimale, parcourant le Royaume, que si la courbure se définissait pas l'altération du reflet, comme le convexe grossit et le concave amincit, alors la courbure de cette interface serait si droite que le reflet serait fidèle au monde.

Dans la danse des infinis, quelle que soit l'étendue d'une section de cette interface, les propriétés seraient rigoureusement identiques, et ce miroir que l'on vient d'imaginer infiniment grand ne diffèrerait en rien d'un miroir infiniment petit, plus petit que poussière. Infiniment loin vers les Cieux il serait de même infiniment proche, il serait même mieux nul-part, dans ce qui ne se possède pas, qui ne se communique pas si facilement, le non lieu naissant de l'esprit. Dans le reflet court la rivière, pourtant sans eau. C'est un non-lieu vers lequel on remonte par détachement, physiquement dans notre monde mais spirituellement, le temps d’un regard peut-être, de l’autre côté du miroir. Oui, on peut s’imaginer le dedans du miroir, la fine très fine lentille dans le dédoublement du fin très fin voile à la limite de notre monde, là où commence le Royaume. Miroir, fragile miroir. Comme Mélusine ou la femme des neiges, le miroir a sa condition, il ne faut pas tenter de le pénétrer, il ne faut pas profaner l’enclos sacré. La sanction serait immédiate, irrémédiable, volant en mille éclats.

Anthropormophose divine. J’ai songé à ce féminin du mot “divin”, repensant au féminin de la shekina et de Sophia : deux féminins à l’interface entre le Royaume et notre monde. Je l'avais annoncé dès le début ce chapitre 8 du Livre des Proverbes, cette fois tout entier, et après réflexion sans même indiquer les lignes que je pensais garder :

« 8:1 La sagesse ne crie-t-elle pas? L'intelligence n'élève-t-elle pas sa voix?

8:2 C'est au sommet des hauteurs près de la route, C'est à la croisée des chemins qu'elle se place;

8:3 A côté des portes, à l'entrée de la ville, A l'intérieur des portes, elle fait entendre ses cris:

8:4 Hommes, c'est à vous que je crie, Et ma voix s'adresse aux fils de l'homme.

8:5 Stupides, apprenez le discernement; Insensés, apprenez l'intelligence.

8:6 Écoutez, car j'ai de grandes choses à dire, Et mes lèvres s'ouvrent pour enseigner ce qui est droit.

8:7 Car ma bouche proclame la vérité, Et mes lèvres ont en horreur le mensonge;

8:8 Toutes les paroles de ma bouche sont justes, Elles n'ont rien de faux ni de détourné;

8:9 Toutes sont claires pour celui qui est intelligent, Et droites pour ceux qui ont trouvé la science.

8:10 Préférez mes instructions à l'argent, Et la science à l'or le plus précieux;

8:11 Car la sagesse vaut mieux que les perles, Elle a plus de valeur que tous les objets de prix.

8:12 Moi, la sagesse, j'ai pour demeure le discernement, Et je possède la science de la réflexion.

8:13 La crainte de l'Éternel, c'est la haine du mal; L'arrogance et l'orgueil, la voie du mal, Et la bouche perverse, voilà ce que je hais.

8:14 Le conseil et le succès m'appartiennent; Je suis l'intelligence, la force est à moi.

8:15 Par moi les rois règnent, Et les princes ordonnent ce qui est juste;

8:16 Par moi gouvernent les chefs, Les grands, tous les juges de la terre.

8:17 J'aime ceux qui m'aiment, Et ceux qui me cherchent me trouvent.

8:18 Avec moi sont la richesse et la gloire, Les biens durables et la justice.

8:19 Mon fruit est meilleur que l'or, que l'or pur, Et mon produit est préférable à l'argent.

8:20 Je marche dans le chemin de la justice, Au milieu des sentiers de la droiture,

8:21 Pour donner des biens à ceux qui m'aiment, Et pour remplir leurs trésors.

8:22 L'Éternel m'a créée la première de ses œuvres, Avant ses œuvres les plus anciennes.

8:23 J'ai été établie depuis l'éternité, Dès le commencement, avant l'origine de la terre.

8:24 Je fus enfantée quand il n'y avait point d'abîmes, Point de sources chargées d'eaux;

8:25 Avant que les montagnes soient affermies, Avant que les collines existent, je fus enfantée;

8:26 Il n'avait encore fait ni la terre, ni les campagnes, Ni le premier atome de la poussière du monde.

8:27 Lorsqu'il disposa les cieux, j'étais là; Lorsqu'il traça un cercle à la surface de l'abîme,

8:28 Lorsqu'il fixa les nuages en haut, Et que les sources de l'abîme jaillirent avec force,

8:29 Lorsqu'il donna une limite à la mer, Pour que les eaux n'en franchissent pas les bords, Lorsqu'il posa les fondements de la terre,

8:30 J'étais à l’œuvre auprès de lui, Et je faisais tous les jours ses délices, Jouant sans cesse en sa présence,

8:31 Jouant sur le globe de sa terre, Et trouvant mon bonheur parmi les fils de l'homme.

8:32 Et maintenant, mes fils, écoutez-moi, Et heureux ceux qui observent mes voies!

8:33 Écoutez l'instruction, pour devenir sages, Ne la rejetez pas.

8:34 Heureux l'homme qui m'écoute, Qui veille chaque jour à mes portes, Et qui en garde les poteaux!

8:35 Car celui qui me trouve a trouvé la vie, Et il obtient la faveur de l'Éternel.

8:36 Mais celui qui pèche contre moi nuit à son âme; Tous ceux qui me haïssent aiment la mort. »

Et qui lira un jour ce texte ?

Je suis passé par cette boutique en rentrant : j'y avais laissé une dizaine de cartes de visite du site il y a deux ou trois mois. Elles étaient là, joliment dispersées dans la partie basse d'une table basse à l'entrée de cette boutique comme un couloir. Jolies dans leur rougeur, ces cartes de la dame en diapositive de l'ouverture du site. Lui pensait que c'était pour une association, elles attendaient là, certainement jolies, mais personne ne les avait prises, certainement personne n'était passé d'ici à mon site. J'ai vite arrêté de surveiller la fréquentation de mon site sur Hostinger. Voilà neuf mois qu'il est ouvert. Mes audios d'harmonica ont 16 vues et je n'ai pas reçu un seul mail de contact ou de livre d'or. Autrement dit, tout est là, et la caravane passe.

Faut-il l'arrêter, la caravane ? Le site a été créé autour du premier janvier, il aura fallu avril pour qu'il sot au complet avec sa bibliographie, ses galeries et ses hypertextes bien rangés. Puis j'ai rempli un peu d'A part avec mes échanges avec Jacky, heureux habitant de ma boîte mail 6tapisseries.fr. Lui seul presque, un ou deux mails très courts de Pacôme, récemment Philippe et Anthony aussi. Et puis quelques pubs, ça fait une peu de vie. Des fois j'utilise aussi la boîte au bureau pour m'envoyer des fichiers, elle n'est pas bloquée comme gmail. Bref, cette boîte mail j'espère qu'un jour elle sera vivante, un lieu d'échange.

Mais faut-il arrêter la caravane ? Faut-il faire outrageusement la pub de mon site ? Je distribue timidement mes cartes de visite, il m'en reste plein. Ce week-end aux parents d'un copain de mon fils invité à la maison. En buvant le thé je leur avais parlé de mes intérêts pour La Dame à la Licorne et le shinto, alors ils étaient d'en savoir. Eux oui, et puis les inconnus, mais pas n'importe qui quand même. Je ne sais plus où j'ai lu ce dicton, mais à celui qui était venu lui parler de façon trop livresque de l'esprit, il avait répondu au sujet de ses champs et ses élevages. A celui là je parle de tout et de rien, du travail tant qu'à faire. Pas n'importe quelle caravane alors.

J'imagine un exemple avec l'utopisme : un truc de solitaire, peu importe d'être seul, tout seul dedans, dans ce non lieu et lieu parfait d'utopos, peu importe, il est question de négation de toutes sortes de choses pour entrer dans la perfection, et idéalement privé des mots et toutes sortes de signifiants, l'utopisme est totalement inexprimable, il n'est partageable qu'en tant que prémices à. Surtout en cet état il importe peu de savoir s'il est raison ou tort, car il n'est pas ici de bien ni de mal, il en est des choses telles qu'elles m'apparaissent à l'instant, celui souvent de cette écriture continue, fil de pensée. Et écrire vraiment, c'est écrire à quelqu'un. Là j'écris directement sur le site. Au péril de tout perdre d'une mauvaise manœuvre, mais tant pis. Que tout cela puisse se perdre, que ça n'ait aucune valeur, que ce ne soit pas même caché, à la vue du premier qui tapera dix caractères dans sa ligne d'internet. Mais j'ai l'impression que c'est beaucoup. Mais qu'est-ce que j'attendais ? Au moins comme ça personne ne le sait dans le service, d'autre que deux ou trois collègues. Il y a comme ça ici de l'enclos. Et encore, c'est la partie accessible du site, ce n'est pas la partie secrète, ici je peux dire plus, peut-être pas tout, mais plus oui. Ici est le site en réelle construction, en réelle actualité de pensée.

Déjà en ce mois de début octobre la Dame à la Licorne ne me dit plus grand chose. J'ai rendez-vous avec Jacky à Cluny dans deux ou trois semaines, il me parlera sûrement des tapisseries, ce sera bien de les voir ensemble un peu la tête vidée pour y laisser entrer de nouvelles choses, impressions nouvelles à l'ouverture de la pièce. Ce qui me reste des tapisseries n'est pas l'image, si peut-être le portrait des dames de Vue, de Ouïe et de Toucher m'apparaissent très clairement. Ce sont les plus signifiantes aujourd'hui. Sinon c'est un processus, un cheminement de la dame. Je me dis Vue pour l’œuvre au noir, ainsi de suite. Toucher et Odorat n'ont pas de couleur, elles seraient la rencontre et la noce. Ce qui reste en somme est le monomythe au féminin.

M'intéressant au miroir d'Amaterasu, je suis allé au shinto et ses rites, le kagura, plus précisément le miko mai. La miko est la prêtresse des temples shinto, on la reconnaît à sa cape blanche sur un kimono rouge. J'ai découvert le rituel du kagura, la danse de la miko pour leur dieu, le kami. Plus précisément j'ai été saisi par la danse lente d'un certain type de kagura : le miko mai qui est tout en gestes longs en rondeur sous le bouquet de feuilles et les clochettes. Cette danse m'a tout de suite paru être une possession. Et en effet, lisant des articles universitaires piochés sur le site jstor, j'apprends que le kagura remonte aux shamanes. Les termes sont trompeurs. Il y a d'abord kagura, qui n'est pas une danse comme on l'entend, mais une cérémonie, une gestuelle au son d'une musique que le tambour peine à rythmer, un majestueux mai qui se rapproche plus de la descente de l'aigle ou de l'ascension d'une grue, que d'une danse. Shamane est à redéfinir, aujourd'hui ici il est question de gourous proposant le grand trip sous aiaouaska, par shamane il est question (cf Dom Schroder) d'un rituel fixé, le shaman n'est pas forcément un prêtre, il n'est pas un magicien, un prophète ou un mystique; l'extase est indispensable, sa personnalité est changée par la possession d'un esprit gardien; entraînement avec apprentissage de techniques, initiation/graduation (preuve d'acceptation dans la communauté); forme fixée (costume, rituel, performance). Cette invocation se faisant non pas dans l'artéfact, le miroir ou l'autel, mais dans la personne de la miko qui parle et se manifeste en son nom, prononçant les oracles et ses lèvres ravivant les morts.

Il est question de deux parties du kagura : le mai lent en rondeur puis l'odori sautant d'un pied sur l'autre. Il est question qu'aucun kagura n'est uniquement mai (faux) et que la possession survient uniquement dans l'odori (je ne crois pas). Dans un autre article il est question de l'initiation en ogamisama et en kamisama. L'ogamisama exerçait la nécromancie : allant à la demande, elle invoquait l'esprit d'un défunt qui prenant son corps parlait à travers elle, comme si elle n'existait plus le temps de son service. À l'équinoxe de printemps, elle délivrait l'oracle de la nouvelle année. La kamisama invoquait un kami qui prenait part d'elle, s'exprimant dans une forme d'identification réciproque, d'attachement de l'objet et de son reflet, de repliement du miroir sur lui-même, opérant la conjugaison des deux niveaux de l'être. L'article n'est pas plus clair que ça sur ce qu'elles faisaient et comment, malgré une bonne dizaine de pages à essayer à se mettre dans leur peau, sans témoignages véritables.

L'ogamisama était une jeune aveugle, amekuro (l’œil noir). Son initiation commençait avant ses vingt ans, idéalement avant sa puberté. Toujours elle était aveugle à son admission au temple. Après quatre années à apprendre les cérémonies et les sutras, elle s'isolait pendant cent jours d'ablution d'eau froide, de jeûne et d'insomnie. Subitement elle était plongée dans la cérémonie de sa première possession, lumières et musiques alentour, elle était à la fois initiée et mariée, au kami et à un prêtre bouddhiste. Il s'agissait là de bodhisattvas ou de kamis connus. Après elle resterait quelques années à œuvrer pour le temple avant de partir officier de village en village, medium, intermédiaire entre les gens et leurs morts, utile au monde.

La kamisama était une femme mûre. Elle avait un travail, une famille, elle était bien de notre monde. Mais subitement elle avait ressenti un mal que les médecins ne comprendront pas, elle s'était tournée de désespoir vers le temple qui n'y comprendrait pas plus mais qui l'inciterait à la prière. Un jour, alors qu'elle sera de plus en plus isolée dans la prière et la fréquentation du temple, sans prendre son accord, un kami la possèdera. Ce sera l'extase, l'instant le plus brillant de leur vie. Puis elles opèreront des cérémonies, on n'en sait malheureusement pas beaucoup dans l'article, mais avec cette idée quelle était toujours là, avec nous, pendant sa possession. Personne ne la croit au début, on l'exorcise ou on essaie mais c'est plus fort qu'elle et ses prédictions se confirment, alors ayant sur elle quelque reconnaissance, elle devient kamisama.

Les deux initiations partagent la plongée dans la profondeur intérieur de l'ascèse puis la mise en lumière et la première possession. Ça suffira pour l'ogamisama, une initiation bien comme il faut, propice à la passivité nécessaire pour laisser l'esprit du défunt s'entretenir avec sa famille et ses amis. Le chemin d'initiation de la kamisama ne peut se détacher d'elle, de sa personne déjà affirmée. Ce sera sans cesse un échange avec l'influence spirituelle, ce ne sera pas une soumission, comme l'a été un jeune esprit apprenant comme à l'école. C'est un peu le chemin du monomythe, n'est ce pas ? D'un premier équilibre elle est plongée dans sa forêt intérieure pleine d'incertitudes inquiétantes, elle trouve l'apaisement dans le retrait du monde et les belles sphères de l'esprit bien enclos, mais que le monde pense d'elle ? Ce n'est pas prêt, elle n'est pas vraiment venue, c'est certaines seulement qui iront jusqu'à Goût et Vue : un échange, un baptême de l'autre.

Je crois qu'il y a un certain miko mai aujourd'hui dont le tout, les gestes en musique et la présence de la miko appellent évidemment sur elle le kami, un bien haut kami de la deuxième ou de la troisième génération selon la façon de compter, et qui pourtant ne figure pas dans les noms des premières pages du Kojiki et du Nihonshoki au sujet des sept premières générations. La miko intéressante doit avoir de cette identité, de femme qui connaît le monde et nous entraîne avec elle dans sa profondeur. Il y a à voir sinon, bien sûr, une jolie musique et une très jolie danse, déroutante, continue, sans rythme comme on le sait ici, et puis le cadre, le temple, les costumes et les accessoires. Ça suffira à satisfaire une observation ou une visite. Mais il y aura l'ambiance véritable liée au chemin, liée au kami invoqué.

C'est la véritable nature divine de la femme devant nous, et plus encore, accepter d'entrer dans la contemplation, et peu à peu ne plus demander à entendre, laisser ressentir, être dans cette pose suspendue du mai et le comprendre entièrement, en ressentir la nature, l'intense liaison de l'âme de la miko avec le kami, et qu'il y a ici de l'étrange beauté, chaude et froide, rouge et blanche, et que c'est quelque part dans le mouvement qui ne se saisit pas, avec sa musique, alors cette danse est comme une vie entière, une histoire, un récit. Il y a du divin véritable dans la miko de certains mais, j'en suis certain, en tout cas il y a le contexte nécessaire à cette impression à nous qui nous y plongeons. Alors elle nous bénit d'abord, de ces gestes du bouquet et des clochettes, puis elle nous invite avec elle, et nous nous laissons aller à la contemplation du mai. C'est dans sa présence, sous son regard fuyant, que nous découvrons l'âme, la sienne d'abord, si joliment mise à nue, et la nôtre, acteur de contemplation, mouvant dans le reflet, âmes se liant dans l'ambiance, l'influence, du kami invoqué.