N’ABOLIRA

COMME SI

Tout en haut d’un chapiteau, au précipice d’une minuscule passerelle. Elle étend les bras haut en l’air. Elle porte un vêtement argenté, scintillant dans les projecteurs. Elle s’élance dans le vide. Le public retient son souffle. Tombant, avec assurance. Au dernier instant, arrive une barre juste au bord de ses mains. Elle la saisit, déjà emportée par l’élan du trapèze. Elle file, fascinante d’allégresse. Si simplement, resplendissante dans son vêtement scintillant. Elle s’élance à nouveau, telle une vague, suspendue à son propre vol. Et en d’adroites roulades, elle rejoint la piste.

Elle s’est relevée de l’ombre et s’élance vers nous, tournoyant sur elle-même, telle une roue scintillante. Elle bondit dans un pas chassé qui s’étend dans un ralenti. Le bras tendu derrière elle, de la pointe d’une baguette, elle entraîne l’enroulement joli, perpétuel, d’un ruban. Imaginez ce ralentissement de la gymnaste dans son bond, la spirale encore tournoie, elle vous laisse vous approcher d’elle, elle ne grossit pas à votre approche. Vous passez juste sous son bras et là, de derrière la scène, vous contemplez ce tournoiement qui ne cesse.

Tout alentour est arrêté, la lumière faiblit. Vous êtes seul à présent. Les projecteurs se sont éteints. Elle aurait aussi bien pu ne jamais exister, la gymnaste. Juste un peu de lumière reste sur le ruban, tournoyant, s’enroulant, mystérieusement. Il se promène dans la pièce, dessinant les roulades, les pas chassés, les élégances, les suspensions en l’air, avant de nouveaux tournoiements vifs. Oh qu’elle est belle à regarder cette ligne s’élevant dans l’allégresse, montant et descendant, s’oubliant dans son envol, nous laissant l’empreinte de l’irréel.

Il se révèle si simple, n’est-ce pas, ce tournoiement. C’est simplement une gymnaste. Il est si purement captivant, n’est-ce pas, cet enroulement plein de grâce. N’est-il pas son geste ? Telle que vous la percevez, dans sa magnifique gestuelle. N’est-elle pas si simple ? Si simple qu’il est terrible à la fois de ne pas y avoir songé, d’être passé devant cent fois. Ironiquement simple. Après avoir cherché sans faille dans les chemins les plus difficiles. Après avoir étudié les pires détails de la physique, des lois de l’attraction, des vecteurs de force. Elle était si simple, la jolie gymnaste.

Oh, attendez ! Je vais vous la montrer. Il suffit d’éclairer les projecteurs ! Terreur, horreur, la gymnaste est éblouie et cesse sa danse, le ruban tombe, en retour elle vous éblouit de sa tenue scintillante. Le charme est rompu. Elle a chuté. Oui, le mystère a été vu, regardez-le, il est mort. Il se hurle à présent, mystère, matérialisé tel un précipité chimique, à la bête vue de tous. Dans la salle certainement, y aura-t-il quelques insensibles pour que la sall entre dans une horrible hilarité, de la chute de la gymnaste.

Mais regardez à nouveau. Le ruban s’enroule. Il tournoie, dansant sur la nuit. Regardez-le, portez-lui le regard apaisé qui ne cherche à toucher les choses. Le tournoiement du ruban dessine la ligne sur laquelle il s’enroule, ce centre qui s’étire. Cette ligne qu’elle dessine sans cesse de ses gestes, c’est elle, la gymnaste. La voyez-vous à présent ? Regardez, l’on peut distinguer les scintillements de son vêtement.

A quelle lumière la contemple-t-on ? Déjà elle s’est affaiblit. N’y pensons pas. A nouveau quelque scintillement semble paraître, argentement sur le noir velours. Elle s’élance telle une vague, s’étend dans son envol, redescend en souplesse, et virevolte en volupté. N’y songez pas, la voyant par la lisière, au prodige qui la révèle. La piste réapparaît, île de lumière, sans projecteurs. Elle danse, tout autour du gouffre. Jamais son pas ne va joncher les ténèbres. Parfaitement découpée, elle qui ne peut être que lumière. Regardez-la à présent, elle ne va pas fuir. Elle se montre à sa propre lumière, vous berce de ses beaux gestes.

Vous garderez souvenir du signe de l’Ineffable, sa Signature, son Indice : l’enroulement du ruban et son geste, son esprit, qui nous insinue la danse de la gymnaste, pure gymnaste dans son costume de lumière.