Il y a deux livres de la légende shinto : le Kojiki (Chronique des faits anciens) écrit en 712 et le Nihonshoki (Chroniques du Japon) écrit en 720. Ce sont des recueils, des chroniques, des arrêts sur image d’un mythe. Le Nihonshoki raconte la même histoire que le Kojiki, mais avec une tournure déroutante de retours en arrière, plus ou moins haut dans la ramification des alternatives : multiplicité des variantes de contes populaires. Il s’agit en fait d'œuvres de folkloristes, arrêtant la légende orale, comme le firent un millénaire après eux les frères Grimm. Le Kojiki est donc, au titre de conte ou de mythe, propice à l'interprétation, expression du plus indicible et du plus partagé, par ce qui fut érodé des centaines d'années durant, non seulement dans les temples, mais le soir sous le toit de paille gorgé de pluie, ou le jour à la rizière, le récitant en silence.
Écrit en japonais avec des caractères chinois, le Kojiki est non seulement le plus ancien, mais aussi le plus illisible des textes japonais. On peut en trouver de plus ou moins bonnes traductions françaises, le plus souvent elles-même traduites de l’anglais de Chamberlain de 1882. « Mon kojiki » sera la traduction anglaise de Gustav Heldt éditée en 2014 par l'université de Columbia [Heldt, Gustav. 2014. The Kojiki: An Account of Ancient Matters. New York: Columbia University Press], relue et validée par ses pairs américains et japonais, intégrant le travail accompli par les précédentes traductions et des décennies de recherche sur ces textes et sur les premiers temps du Japon.
Izanami et Izanagi
Des six générations qui précèdent le couple Izanami - Izanagi, nous n’aurons à connaître qu’un kami (dieu) : Takamimusubi « le grand créateur», second des trois kamis de la création, le premier esprit manifesté. Septième génération des couples divins, Izanami et Izanagi sont les premiers kamis à descendre sur terre. Leurs nom signifient pour Izanami : celle qui invite (on retiendrait le “m” de femme) et pour Izanagi : celui qui invite (on retiendrait le “g” de garçon). Les noms japonais ont cela de pratique qu'ils ont un sens. Il sera donc question de qui invitera l’autre.
Les six premières générations de kamis donnèrent à Izanami et Izanagi la mission de descendre des Cieux pour façonner la terre. Du haut du pont flottant céleste, Izanagi plongea la pointe de sa divine lance dans l’océan et, en la relevant, projeta des concrétions de sel qui formèrent la première île du Japon. Ils descendirent et découvrirent un pilier sacré et un palais. Ils se décrivirent l’un à l’autre : son corps à elle était vide en un endroit, et à cet endroit son corps à lui avait quelque chose qui dépassait. Izanagi invita Izanami à s’unir pour donner naissance à la multitude du monde. Mais avant ils durent se séparer pour contourner le pilier, elle par la droite et lui par la gauche. Se retrouvant de l'autre côté, elle s’exclama : « Quel beau jeune homme ! » De leurs deux premiers coïts naquirent une sangsue qu'ils abandonnèrent sur un canot fait de roseaux, puis une île d’écume. Insatisfaits de leur descendance, ils demandèrent conseil aux kamis, là-haut. Les kamis consultèrent l'oracle d'os calcinés, et la réponse fut simple : aucun bien ne viendrait du fait que la femme avait parlé la première. Ils redescendirent du paradis, firent à nouveau le tour du pilier et Izanagi parla le premier « Quelle belle jeune femme ! » Ils purent alors façonner la terre, donnant vie à la myriade des kamis de ce monde.
Après de nombreux coïts et de nombreuses naissances naquit Kagutsuchi, l’esprit du feu. Izanagi, brûlée aux parties intimes, tomba malade, et mourut « de la mort d’un esprit ». Son corps fut porté dans le pays de Yomi, l’Outremonde. Izanagi, après avoir tranché Kagutsuchi en pièces, alla à la recherche d'Izanami, descendant dans les galeries obscures de l'Outremonde. C'est elle qui vint à sa rencontre, restant cependant cachée dans l'ombre, derrière le seuil d'un palais. Il la supplia tendrement de le rejoindre. Si seulement il était venu plus tôt ! Izanami avait déjà mangé en ces terres et elle devait demander leur permission aux kamis de l’Outremonde. Avant de s'éloigner, elle le mit en garde : elle lui défendait strictement de tenter de la voir. Mais elle s'absenta si longtemps qu'Izanagi ne put résister à la tentation. Il brisa une large dent du peigne qu'il portait dans sa mèche de cheveux bouclant à gauche et la changea en torche. Épiant les ténèbres, il vit Izanami : des asticots se tortillaient et rampaient à l'intérieur et à l'extérieur de son corps recouvert des huit esprits de la foudre.
Izanagi prit peur et s'enfuit. Izanami, furieuse, lança à sa poursuite les sorcières répugnantes. Izanagi défit les liens de vigne noire tenant sa puissante chevelure et les jeta : les liens se changèrent immédiatement en raisins de montagne et les sorcières s'arrêtèrent pour les dévorer. Mais cela ne fit que les ralentir avant qu'elles repartent à sa poursuite. Il saisit le peigne qu'il portait dans sa mèche de cheveux bouclant à droite et le jeta : le peigne se changea immédiatement en pousses de bambou et les sorcières s'arrêtèrent à nouveau pour les dévorer. Izanagi reprit la fuite. Izanami envoya après lui les huit esprits de la foudre escortés de mille cinq cents guerriers. Izanagi courait, agitant son épée derrière lui, sans parvenir à distancer ses assaillants. Il parvint au pied de la pente douce conduisant à l'Outremonde. Il s'y trouvait un arbre dont il cueillit trois pêches et, adoptant une posture menaçante, fit fuir ses assaillants. Après cela, Izanagi honora les pêches du titre de « grandes et merveilleuses majestés sacrées » et leur demanda de venir en aide à tous les mortels qui rencontreraient la peine et la souffrance.
Izanami elle-même arriva. Alors Izanagi souleva un immense rocher qu'il aurait fallu mille hommes pour tirer, et avec ce rocher il boucha la porte de l'Outremonde. Izanami parla la première, lui promettant, s’il la quittait, d’étrangler chaque jour mille mortels. Izanagi lui répondit qu'alors il monterait chaque jour mille cinq cents huttes de naissance, et il la quitta.
Amaterasu et Susanoo
Izanagi alla immédiatement se purifier dans l'eau, au pied d’un oranger. Après avoir, de ses ablutions, donné naissance à une vingtaine de kamis, il donna naissance à la huitième génération de kamis : nettoyant son œil gauche, il donna vie à Amaterasu, la déesse lumineuse des cieux ; nettoyant son œil droit, il donna vie à Tsukuyomi la déesse de la nuit; et de son nez il donna vie à Susanoo, le tumultueux kami de la terre. Amaterasu fut chargée de régner sur les Cieux, Tsukuyomi régnerait sur la nuit et Susanoo régnerait sur la terre.
Susanoo, en larmes, implora Izanagi de lui permettre de rejoindre sa mère dans l'Outremonde. Furieux, Izanagi le chassa. Susanoo monta aux Cieux et, le voyant arriver, Amaterasu se para de son arc et de centaines de flèches. Il lui promit que ses intentions étaient bonnes, qu'il était venu lui dire au revoir. Elle refusa de le croire, mais il lui proposa de s'unir, ce qu'elle sembla ne pas pouvoir refuser. Ils s’unirent chastement, échangeant des objets, chacun de son côté de la rivière céleste. Amaterasu demanda à Susanoo son épée, elle la brisa en trois morceaux qu'elle plongea dans la rivière, donnant vie à trois kamis filles. Susanoo demanda à Amaterasu les colliers de pierres incurvées qu'elle portait en nœuds à ses cheveux et en bracelets à ses bras. Les croquant et les crachant, il donna vie à cinq kamis garçons. Mais Amaterasu revendiqua les cinq garçons qui étaient faits de ce qui lui appartenait, accordant à Susanoo les trois filles.
Susanoo, fou de rage, foula les rizières et recouvrit le palais de ses excréments. Amaterasu trouva des excuses à ses outrages. Alors, à travers le toit de l'atelier de tissage des vêtements des prêtres, Susanoo jeta un poulain écorché à l'envers. La déesse des lissières, tissant avec une navette, surprise et choquée, s'enfonça la navette dans les parties intimes et mourut. Amaterasu, effrayée, s'enfuit dans une caverne qu’elle scella d’un rocher qu'elle seule pouvait déplacer, plongeant les Cieux dans l'obscurité.
Les kamis, criant, furent en proie aux calamités d'une nuit sans fin. Ils tentèrent par tous les moyens de faire sortir Amaterasu de sa caverne, que ce soit par des prières, par le chant de coqs ou par divers rituels, mais rien n'y fit. Désespérés, ils s'en remirent à l’oracle d’une omoplate de cerf calcinée. L'oracle leur désigna un plan : ils déterrèrent un arbre, aux branches du haut ils accrochèrent des pendentifs, aux branches du milieu un miroir immense, et aux branches du bas des papiers de prière. Un kami entonna des hymnes de prière, un autre se cacha à l’entrée de la caverne et Amenouzume « la déesse couronnée des cieux » dansa devant le rocher. Amenouzumue, couronnée de branches de laurier et les bras cerclés de lianes de vigne, prit dans chaque main un bouquet de bambou séché et, sur un tonneau renversé à l’entrée de la caverne, frappa bruyamment. Elle devint possédée à sa musique, montrant ses seins et poussant sa ceinture sous ses parties intimes, faisant trembler les hautes plaines célestes du rire des myriades de kamis.
La clameur parvint à Amaterasu, à travers le rocher par lequel elle s'était séparée du monde. Intriguée, curieuse de ce qui se passait au-dehors, elle ouvrit une fissure dans la fermeture de la caverne et, découvrant la danse d'Amenouzume, s'exclama ( trad. personnelle [Heldt 2014] ) :
« Car je m'étais cachée, les hautes plaines du paradis sont devenues obscures et le royaume central des plaines de roseaux fut jeté dans l'ombre, en tout cas c'est ce que j'ai pensé. Pourquoi, alors, Amenouzume, la déesse couronnée des cieux, chante et danse-t-elle ? Et pourquoi les nombreux esprits dans leur multitude rient-ils tout haut ? »
Amenouzume répondit : « Nous rions et nous dansons car il y a un esprit ici qui est encore plus magnifique que vous, oh ma divine. »
Tandis qu'Amenouzume disait cela, deux kamis placèrent le miroir devant la fissure. Plus intriguée encore, Amaterasu rampa lentement au-dehors vers sa semblance lumineuse. Lorsqu'elle fut suffisamment proche, le kami qui attendait caché à l'entrée la saisit par le poignet et la tira au-dehors. Un autre kami brandit une corde sacrée dont les brins de paille finissaient vers le bas et, la tendant derrière Amaterasu, proclama : « Tu ne retourneras pas ici ! »
Amaterasu fit un pas en avant, illuminant les hautes plaines célestes de sa radiance.
Susanoo fut expulsé des Cieux. Il descendit là où se trouve aujourd'hui le grand temple d'Izumo, à l'ouest de la péninsule de Shimane. Voyant une baguette flotter sur une rivière, il remonta le courant jusqu'à la rencontre d'un couple de vieux et de leur fille. Ils lui dirent qu'un dragon à huit têtes avait dévoré leurs sept premières filles et qu'il reviendrait bientôt dévorer leur huitième fille. Susanoo proposa de combattre le dragon en échange de la main de leur fille. Ils acceptèrent et l'aidèrent dans son stratagème : il leur fit brasser un saké huit fois pour qu’il soit fort, puis il leur en fit remplir huit tonneaux, il leur fit bâtir une palissade avec huit portes, et leur fit déposer un tonneau de saké devant chaque porte. Le dragon arriva et, enfonçant chacune de ses têtes dans une porte, but le saké avant de sombrer dans l’ivresse. Profitant de son sommeil, Susanoo le trancha en pièces jusqu’à ce que la rivière des esprits devienne rouge de sang. En coupant une queue du milieu, il brisa son épée. Intrigué, avec le tranchant brisé de sa lame, il ouvrit la queue en deux et trouva une magnifique épée. Il alla retrouver Amaterasu et lui offrit la merveilleuse épée, accompagnée du récit de ses prouesses.
Le partage de la terre
(pour ne pas vous perdre, la partie du Kojiki qui suit a été résumée, omettant de nombreuses aventures et de nombreux noms de kamis pour aller à l'essentiel de la trame)
Okuninushi avait quatre-vingts frères et chacun d'entre eux désirait la même femme. Alors qu'ils parcouraient des rizières, les frères firent d'Okuninushi leur porteur et lui firent traverser un bras d'eau de mer. Selon le conseil de ses frères, il s'étendit au soleil pour sécher. Sa peau se couvrit de brûlures et il alors qu'il manquait de mourir les kamis de la mer lui vinrent en aide. Émue par la scène, la femme que tous ses frères désiraient promit de prendre Okuninushi pour époux. Fous de jalousie, ses frères le tuèrent. Il fut ressuscité par les kamis célestes, mais ses frères le tuèrent à nouveau, cette fois c'est sa mère qui le ressuscita. Poursuivi par ses quatre-vingts frères armés d'arcs et de flèches, il prit la fuite dans les profondeurs de l'Outremonde, devenu le royaume de Susanoo. Il y rencontra la fille de Susanoo et ils se promirent l'un à l'autre. Susanoo, faisant mine de l'accueillir, tenta de tuer Okuninushi dans son sommeil. Mais la fille de Susanoo puis une petite souris l'aidèrent. La fille de Susanoo fit manger à son père des pépins qui le plongèrent dans le sommeil. Avec Okuninushi ils attachèrent Susanoo par les cheveux, Okuninushi lui déroba son épée et son arc avant de bloquer l'entrée de la pièce avec un immense rocher. Lorsque Susanoo se réveilla, ils étaient déjà loin et ne purent les rattraper. Alors Susanoo chargea Okuninushi de soumettre ses frères, armé de l'épée et de l'arc qu'il lui avait dérobé. C'est ainsi qu' Okuninushi prit possession de la terre.
Cependant, du haut des cieux, Amaterasu et Takamimusubi (le premier esprit manifesté), jugèrent qu'il était de leur droit de régner sur la terre. Ils envoyèrent en vain un premier, puis un second émissaire, avant de se décider à commencer par pacifier la terre en y envoyant deux kamis : un diplomate (Amenotoribune) et un guerrier (Takemikazuchinoo). Okuninushi les reçut, mais il ne lui appartenait pas de répondre, c’était à son fils Kotoshironushi « le maître qui parle pour beaucoup d’autres » de les recevoir. Ils durent se rendre au Cap de la plume où Kotoshironushi était sorti pêcher (juste après l'actuel port de Mihonoseki, à l’est de la péninsule de Shimane). Le kami diplomate lui fit la même demande qu'à son père. Kotoshironushi accepta, se tournant vers son père, il le pria de léguer la terre à ces enfants d’esprits célestes.
« Aussitôt, il tapa du pied et renversa son bateau. Puis il frappa dans ses mains, les paumes inversées, en signe de soumission au ciel. Une clôture sacrée tissée de brins verts apparut et il se cacha à l'intérieur. »
Kotoshironushi avait un second fils qui refusa de céder la terre. Le kami guerrier l'affronta et c’est seulement sur le point de succomber qu’il jura soumission et obédience à la lignée céleste. Selon la décision de ses deux fils, Okuninushi légau la terre à la lignée céleste, promettant qu’aucun de ses cent quatre-vingts enfants ne se rebellerait à deux conditions : qu’il lui soit bâti un temple avec des piliers profondément enfoncés dans la roche et un toit montant jusqu’aux cieux (actuel temple d’Izumo, à l’ouest de la péninsule de Shimane) ; et que son fils Kotoshironushi soit choisi pour servir l'arrière-garde et l'avant-garde des forces célestes.
Le partage de la terre effectué, Amaterasu envoya son petit fils pour y régner. Juste avant son départ elle lui remit l'épée de Susanoo et le miroir de la caverne, lui disant :
« Ce miroir n’est rien de moins que le vaisseau de ma très haute âme. Révère-le comme si tu t'inclinais devant ma personne. »
Trois variations du Nihonshoki
Le Nihonshoki, écrit en 720, introduit de nombreuses variations dans le mythe recueilli huit ans plus tôt dans le Kojiki. De ces nombreuses variations, trois m’ont particulièrement intéressé et trouveront leur place dans la suite de cette étude. Traductions personnelles de [Nihongi, Chronicles of Japan from the Earliest Times to A.D. 697. Translated from the original Chinese and Japanese by W.G. Aston. London 1896]
La naissance d’Amaterasu
Izanagi dit : « Je souhaite procréer le précieux enfant qui devra régner sur le monde. Il prit alors dans sa main gauche un miroir de cuivre blanc, après quoi une divinité fut produite par ce miroir, appelée Amaterasu. »
La cause de la colère d’Amaterasu
« Quand il (Susanoo) vit qu'Amaterasu était dans son palais sacré de tissage, engagée dans le tissage des habits des kamis, il écorcha un poulain pie céleste, et brisant un trou dans les tuiles du toit du palais, le jeta à l'intérieur. Alarmée par la surprise, Amaterasu se blessa avec la navette de tissage. Indignée par cela, elle s’enfuit tout droit dans la caverne céleste, et y resta recluse. Alors la constante obscurité surgit de partout, et l'alternance du jour et de la nuit fut inconnue. »
Le partage de la terre
« Tous ceux qui se rebellaient contre son autorité (du kami guerrier) étaient mis à mort, tandis que ceux qui se soumettaient étaient récompensés. Les chefs de ceux qui lui rendirent obédience étaient Okuninushi et Kotoshironushi. Ils rassemblèrent les quatre-vingts kamis sur la haute place du marché céleste, et les guidant aux Cieux avec eux, déclarèrent leur dévouement loyal. Takamimusubi commanda à Okuninushi : « Si vous prenez pour épouse une des kamis de la terre, je devrai toujours considérer que votre cœur est désaffecté. Je vais à présent vous donner ma fille Mihotsuhime pour être votre épouse. Prenez avec vous les quatre-vingts myriades de divinités pour être les gardes de mon auguste petit fils à tous ses âges. »
Il aura fallu des jours pour que m'habituer à ces noms, trop longs, trop étrangers. Pour accélérer l'effet, regardons-les d'un peu plus près :
Izanami vient d' iza (inviter) - nami (celle) : elle est celle qui invite. Pour ne pas confondre avec Izanagi, il y a le « m » de femme dans Izanami et le « g » de garçon dans Izanagi. Izanami forme avec Izanagi le premier couple de kamis à avoir habité la terre. C'est elle qui, après avoir donné naissance au dieu du feu, meurt de la mort d'un esprit avant de rejoindre l'obscurité de l'Outremonde
Amaterasu vient d' ama (cieux) - tera (briller) - su (suffixe honorifique) : elle est la déesse solaire. Selon les sources, Amaterasu est aussi appelée Ama. Amaterasu est née de l'œil gauche d'Izanagi se purifiant de la vue d'Izanagi devenue déesse de l'Outremonde. C'est elle qui, offensée par son frère Susanoo, s'enfuira dans la caverne, privant le monde de sa lumière.
Amenouzume vient d' ame (céleste) - no (suffixe possessif) - uzume (couronnée) possessif) : elle est la déesse couronnée. Selon les sources, Amenouzume est aussi appelée Uzume. C'est elle qui, dansant à sa propre musique, fait oublier aux kamis la nuit sans fin et ils rient et dansent tant qu'ils parviennent à éveiller la curiosité d'Amaterasu.
Mihotsuhime vient de miho - tsuhime (princesse) : elle est la princesse Miho. Elle est offerte par son père Takamimusubi, le premier kami manifesté, à Okuninushi, afin que sa descendance reste fidèle à la lignée céleste
Izanami descend dans l'Outremonde, Amaterasu prive le monde de sa lumière, Amenouzume danse à sa propre musique, Mihotsuhime est notre lien divin.
Il y a aussi des noms d'hommes : le bon Izanagi est le mari d'Izanami, le terrible Susanoo est celui d'Amaterasu, Okuninushi est le premier dieu à régner sur l'assemblée des kamis terrestre, Kotoshironushi est son fils.
Avant de nous lancer dans le dur de la mythanalyse, une note géographique : le Kojiki a son lieu actuel : dans la région de Matsue, sur les rives de la mer du Japon, sur laquelle s'étend la péninsule de Shimane. À l'ouest de la péninsule se trouve le temple d'Izumo, dédié à Okuninushi. À l'est se trouve le temple Mihojinja, dédié à Mihotsuhime et Kotoshironushi. Le Mihojinja, moins grand et moins fréquenté qu'Izumo, mérite notre attention car il est moins étudié que le célébrissime temple d'Izumo, et qu'il est dédié à Mihotsuhime, intermédiaire entre nous et les plaines célestes.
Le Mihojinja est situé dans le port de Mihonoseki, dans une baie indiquée dans le Kojiki : c'est là que Kotoshironushi est parti pêcher et que son père Okuninushi envoie les émissaires célestes lui demander s'il accepte de leur léguer le contrôle de la terre.
Nous avons dit que les noms en japonais ont une signification : Izumo signifie « la ville qui sort des nuages », mais il est plus difficile de traduire Miho qui est dans le nom d'une princesse (Mihotsuhime), d'un port (Mihonoseki) et d'un temple (Mihojinja). Heldt nous donne la lecture suivante de Mihonosaki, où Kotoshironushi est parti pêcher : mi (honorable) - ho (plumage) - no (suffixe possessif) - misaki (cap). Mihonosaki se traduirait donc par « vénérable plumage ». Et il y a en effet là-bas, au temple Mihojinja, de beaux aigles appelés tombis, qui poussent leur cri en écho au kagura.
Le lieu du récit est du domaine de la psyché. L’Outremonde ou la caverne céleste sont des replis psychiques, zones mal contrôlées, imprévisibles, des dynamiques mentales. Le tabou en ces lieux n’a rien d’original : la libido, et son pendant immédiat est une forme de refoulement, de censure, par enfouissement dans l'Outremonde terrestre ou dans la caverne céleste. Cette mort « de la mort d’un esprit » qui plonge Izanami et la lissière dans l'Outremonde, la première causée par des brûlures génitales, la seconde par la pénétration d’une navette, sont assurément « la petite mort » qui succède au coït : la libido. La différence est qu’Amaterasu ne vit pas cette libido, elle en est témoin, profondément choquée par l’agissement de Susanoo. Et ce n’est pas dans l’obscurité qu’elle plonge, mais dans une caverne qu’elle découvrira à sa propre lumière.
Cette obscurité, ce monde privé d'Amaterasu, la lumière des cieux, est l'obscurité de la même psyché que l'Outremonde, mais abordée autrement, celle d’un second temps. C'est ici, dans le conte folklorique, l'expression d'un inconscient. Celui non d’un auteur mais d'une myriade d'auteurs, gardant seulement le commun profond des êtres.
L’autre
Izanami et Izanagi
La colonne de l’oubli
Chaque fois qu’Izanami et Izanagi se perdent de vue derrière la colonne sacrée, ils sont frappés d’oubli et tout recommence, au premier jour. Ainsi c’est comme si jamais elle ne l’avait invité, comme si la sangsue et del’île d’écume n’avaient jamais existé, flottant cependant sur les flots, ne figurant pas à la liste des kamis, peut-être reviendraient-elles de nulle part ? comme esprits de l'Outremonde peut-être, témoins de ce qui ne peut vraiment s’oublier, en bribes inconscientes.
Izanami : Ève ou Lilith ?
Telle Lilith, à la première union c’est Izanami qui invite, c’est elle qui suit un désir « que bel homme ! ». Ils donnent naissance à une sangsue, que je ne peux m’empêcher d'associer au vampire, et à une île d'écume, que je ne peux m’empêcher d’associer au non-lieu de l'île d’Utopie. Ils ne les reconnaîtront pas comme leurs enfants, sangsue et île d’écume sont officiellement refoulées et avec eux c’est Lilith qui est répudiée, Izanami sera soumise. Cette soumission a-t-elle à voir avec ses malheureux dans l'Outremonde ?
Telle Ève, l’Izanami de la seconde union est sous le désir d’Izanagi, elle est l’outil de la procréation, à lui l’intention, le germe. Elle sera sous lui, accouchant du monde.
La mort d’un esprit : petite mort ?
Ce n’est pas Izanagi qui lui donne la mort d’un esprit, c’est le dieu du feu porté en gestation, c’est une émanation d'elle-même qui l’atteint à sa délivrance. Le dieu du feu, naissant en plusieurs fois, se réimmisçant en elle, la brûle en son intime. Orgasme et assombrissement post-coïtal…
Izanami sombre, morte de la mort d'un esprit, elle est conduite dans le monde souterrain, dans les montagnes du tribunal des esprits, à la frontière du pays des nuages flottant et du pays de la mère chêne. C'est là, sur les cimes, à la frontière de la brume flottant sur les feuillages, que se situe l'entrée de l'Outremonde.
Nous ignorons ce que signifie « manger en ces terres » : mais c’est à cause de cela, parce qu’elle aura mangé en ces terres, qu’il sera interdit à Izanami de s’enfuir avec lui. Pourtant personne ne la retient, on dirait presque une mise en scène pour le mettre à l’épreuve, sachant que l’impatience sera la plus forte. D’ailleurs elle est encore là, elle n’est pas partie demander l’autorisation des dieux de l'Outremonde, elle a attendu qu’Izanagi cède à la tentation. Izanami et Izanagi ne peuvent plus s’entendre, elle a basculé dans une nature répugnante, elle n’était pas prête à porter le feu, lui ne peut supporter la connaissance de cette Izanami immonde. Izanami et Izanagi, non en tant que couple créateur, mais en tant qu’union de deux âmes, est un échec.
Izanami : une Mélusine ?
Elle ne doit pas être vue dans son cadre liturgique, Mélusine, au risque de nous punir de sa privation. De même Izanami ne doit pas être vue dans l'Outremonde, grouillante d'asticots. Izanagi fuit, seul. C’est là que l’histoire de Mélusine s’achève. Celle d’Izanagi s’achève bientôt, il donnera vie à Amaterasu, Tsukuyomi et Susanoo, il défendra à Susanoo de rejoindre Izanami dans l'Outremonde avant de le répudier, puis il s’effacera du récit.
Izanami, qui de sa tendre voix dit à Izanagi combien elle désire le rejoindre sur terre, peut-être est-elle de sa juste volonté, peut-être qu’elle-même doit œuvrer à quelque correction, à quelque réparation, avant qu’Izanagi la voie. Et c’est la vue impropre d’Izanagi qui la condamnera à ne pas changer, à rester la déesse de l'Outremonde. Son âme persiste, furieuse , déterminée à étrangler chaque jour mille mortels. Tel est le destin d’une femme brisée, furieuse, condamnée, interdite.
Telle n’est pas Mélusine ? L’amant ne la découvre pas seulement nue, mais horrible : femme-serpent, répugnante. Il y a du répugnant dans les richesses de l'Outremonde. Les approcher demande discernement et préparation, certainement même, une initiation.
Morte de la mort des esprits, Izanami a basculé dans l'Outremonde par une fente dans notre monde. D’ici elle nous voit, mais nous ne pouvons la voir. Elle nous connaît, mais nous ne la connaissons plus, cependant nous allons la chercher. Le pourquoi de l’échec : nous ne sommes pas prêts pour la révélation de son ombre.
Cette manifestation de l’ombre d’Izanami, que j’imagine figée dans la petite mort du plaisir, cette pure libido, est aussi répugnante pour Izanagi qu’un cadavre dévoré par les vers.
C’est Eurydice et c’est Mélusine qui fuient. Cependant c’est Izanagi qui fuit : dans la construction complète de la psyché qu’est le récit du Kojiki, Izanami reste là, quelque part, incarnation de la part immonde de l’ombre. Il restera des cavernes et des nuits cependant, lieux des clairs-obscurs.
Quel est ce fruit, sur la pente douce de l'Outremonde ?
Izanagi n'était pas prêt, il n'a pas tenu, il a fui, condamnant volontairement Izanami à l'Outremonde. Elle n'aura eu de cesse de le menacer de toutes sortes de mauvais esprits, finissant par le menacer elle-même. Il sera sauvé par la fuite et le dénuement, abandonnant la lanière dans ses cheveux, son peigne, agitant son épée sans chercher à fendre l'ennemi. Curieusement, ce qui mettra en déroute les dieux de la foudre et une armée entière, c’est de brandir trois fruits : ceux qui poussent sur la pente douce menant à l'Outremonde.
Quel est cet artefact au nombre magique de trois ? Izanagi donnera aux fruits le nom de « grandes et merveilleuses majestés sacrées », et leur demandera de venir en aide à tous les mortels qui rencontreraient la peine et la souffrance. Certes, l’entrée de l'Outremonde est sur le point d’être scellée derrière un gigantesque rocher, mais quel est ce symbole inattendu ? Celui ou celle qui serait en peine ou en souffrance aurait raison de se nourrir de ses fruits, à la lisière de L'Outremonde, sur sa pente douce, là, dans le doux fruit fait d’« un peu d’ombre », il y a une renaissance, une échappatoire à l’appel de l'Outremonde. Il y a la promesse d’un compromis, d’une richesse, d’un besoin à assouvir, fait d’un peu d’ombre, pour remonter.
Amaterasu et Susanoo
Amaterasu : telle Athéna ?
Amaterasu, naît de l’œil gauche d’Izanagi. Pourquoi le gauche ? Izanagi contourna le pilier céleste par la gauche - Izanami par la droite, c’est de la lumière d’une dent du peigne attaché dans sa mèche de cheveux bouclant à gauche qu’il voit Izanami : je pense que la gauche indique le masculin. Amaterasu est une guerrière pure, elle défend les cieux de Susanoo, portant une armure de bambou et bandant son grand arc. Athéna, guerrière immaculée, naît de la tête de Zeus. Amaterasu et Athéna sont des incarnations féminines d’une justice fière et belle, imprenable. Elles naissent semblables, mêmes archétypes certainement, mais leurs destins les séparent.
Amaterasu : jeune fille aux mains d’argent ?
Que contient le regard de l’œil gauche d’Izanagi ? C’est la vision d’Izanami que purifie une vision masculine, son inverse : un féminin qui se comporte au masculin, comme endormi. La condition d’Amaterasu est le tabou de l'Outremonde, je dirais un féminin aux mains d’argent, comme dirait le conte La jeune fille aux mains coupées. Elle est incomplète, à moitié, incapable d’agir dans le monde.
Amaterasu : larme en ce monde ?
Amaterasu, haute déesse céleste, si belle, tant aimée, est aussi du souvenir que le regard d’Izanami a gardé de la première Izanami, la belle avec qui il descendit le pont flottant céleste. Regard lourd de regrets.
Amaterasu est aussi larme, nostalgie, l’autre Izanami, celle qui lui avait préexisté, l’essence du féminin. En fait nous ne savons pas. Il y a aussi Tsukuyomi, kami né de l’œil droit d’Izanagi, nous n’entendrons plus parler de ce kami. Il nous sera toutefois permis de l’imaginer Lune brillant à la nuit céleste, éclairant Amenouzume dansant devant la caverne.
Susanoo : parfum charnel
Susanoo émane du nez, il est lié à l’odorat. Dans l'Outremonde, Izanagi était privé de la vue. Il entendait la voix douce et inaltérée d’Izanami. Que s'étaient-il dits ? Certainement la puanteur du cadavre, pourtant il n’a rien soupçonné, il a prié Izanami de le rejoindre. Peut-être que dans cet odorat, cette teinte puissante d’un souvenir, il y a de la déesse de l'Outremonde qui l’a envoûté, qu’il a désiré.
Susanoo est rattaché au primitif du flair animal, du charnel moite obscurité et excitant. Il répond de tout son être à l’appel de la déesse de l'Outremonde. Il a pour seul souhait de rejoindre Izanami, remontant à la volupté de jouissances incessantes.
Pourquoi Susanoo sera-t-il furieux ? Parce qu’Amaterasu lui aura pris les cinq garçons ? Ou parce qu’Amaterasu ne se sera pas vraiment unie à lui ? Parce qu’il n’aura pas assouvi son appétit ? Lui et Amaterasu ont procréé sans s’unir, sans satisfaire les élans moites de l’Outremonde.
Glissements et intermédiaires
C’est par succession d'intermédiaires que Susanoo cause la mort de la lissière. Intermédiaires qui sont les lents glissements vers les choses intérieures.
Ce n’est pas Susanoo qui viole Amaterasu, pourtant c’est tout comme. Les intermédiaires atténuent la réalité du traumatisme, préservant sa valance affective, symbolique : Susanoo écorche un poulain sacré de l’arrière, il le jette à travers le toit de l'atelier sacré, la lissière surprise sursaute, se pénétrant avec la navette.
La déesse guidée par Amaterasu dans l’entremêlement du tissage est détournée de sa tâche par Susanoo qui la conduit brutalement au plaisir de la chair, à « la mort d’un esprit ». Dans l’enclos sacré du tissage, Amaterasu la supervise, elle tisse les kimonos sacrés, outils de la matérialisation de divin.
Sacrilège des sacrilèges ! Le poulain écorché par l’arrière est jeté dans l’atelier sacré. Le poulain était aux temps anciens l’une des plus hautes offrandes. Il n’était pas sacrifié : bien vivant, les prêtres veillaient à son soin, l’élevant en bel étalon. Écorcher de l’arrière. L’atelier sacré est une profanation. On peut lire dans cette triple profanation l’artefact magique du trois qui ouvre une porte : celle de la transposition psychique.
La lissière, connaissant le plaisir, meurt de la mort d'un esprit et rejoint Izanami dans l'Outremonde. Amaterasu est frappée par transposition, psychiquement Susanoo est entrée en elle. Qu’a-t-elle ressenti à la vue de la navette et des gémissements de la lissière. A-t-elle refoulé une certaine envie ? Amaterasu fuit dans la caverne céleste. Amaterasu se comporte comme l’a fait Izanagi : elle met un rocher entre elle et le monde. La confrontation à la libido opère une nouvelle réclusion. Elle prive le monde de sa lumière et c’est du monde entier qu’elle se prive.
Quelle est cette caverne ? Elle n’est pas le tunnel de l’Outremonde, elle est la caverne psychique, celle d’une retraite, d’une plongée en soi, à sa propre lumière. Dans la caverne, Amaterasu est appelée à se découvrir et à se réconcilier avec elle-même ; gage d’un retour au monde réussi, celui d’une Amaterasu changée.
Là où Amaterasu se distingue d’Izanagi
Elle est née de son œil gauche, regard masculin du féminin. Amaterasu est comme Izanagi, fuyant une réalité imprégnée de libido, elle met un rocher entre elle et cette réalité. Mais l'issue de la séparation sera différente.
Amaterasu est apparemment passive, coupée du monde. Là où le masculin Izanagi s’est pressé dans une frénésie de purifications, la tendance du féminin est de s’isoler. Cela vous rappelle peut-être d’autres histoires. Cette caverne de réclusion est celle de la petite maison de La jeune fille aux mains coupées, la maison des sept nains de Blanche neige, de tous ces monomythes au féminin [https://6tapisseries.fr/#le-monomythe]. Dans une mort initiatique, en apparente passivité, opère l’individuation, vers un accomplissement psychique, une connaissance pleine et réconciliée de soi.
Amenouzume - Amaterasu
« (Amenouzume) frappa bruyamment et devint possédée, montrant ses seins et poussant sa ceinture sous ses parties intimes. (...) Et les hautes plaines du paradis tremblèrent du rire des nombreux kamis dans leur multitude. »
Si japonais !
Au Japon il y a une nudité populaire et drôle. En effet. Un exemple est la scène du dessin animé Pompoko. C’est inattendu, drôle. Après avoir réfléchi tous ensemble à un plan pour l’attaque du lendemain, et établi une stratégie ils boivent et dansent, et le lendemain ils ont oublié après avoir établi un plan d’attaque, boivent et dansent nus, riant. Le lendemain ils ont oublié leur plan et d’après ma petite souris, c’est très japonais comme lâcher-prise, tous ensemble dans l’ivresse et la danse, allant tous ensemble à leur clameur.
La lecture classique d’Amenouzume devant la caverne est celle-ci, le spectacle grivois et les rires. La force du rire et l’envie d’Amaterasu de rire avec eux. La nudité d’Amenouzume alors n’aurait rien d’érotique. La danse d’Amenouzume, peut-être sa nudité (était-elle belle ?, ce n’est pas la même nudité), est dans cette tradition japonaise festive, de s’oublier.
Sauf que… Amenouzume n’exécute pas un spectacle grivois : elle est possédée ; et Amaterasu n’a pas envie de rire : elle veut savoir qui est cette déesse qui serait plus belle qu'elle ; et baisser la ceinture ce n’est pas tous les jours tout même.
La curiosité fait sortir Amaterasu
L'on ne sait rien des pensées d’Amaterasu dans la caverne. Les rires des kamis lui parviennent à travers le rocher. Intriguée, Amaterasu va à son envie de comprendre. Curieuse du monde, elle ouvre une fissure dans l’ouverture et aperçoit Amenouzume « encore plus magnifique qu’elle », la jalousie se conjugue à la curiosité, attirant Amaterasu encore un peu, juste assez pour être traînée au-dehors par le kami qui attendait dans un recoin.
En somme c’est le caprice d’une enfant gâtée qui sortira par un quelconque subterfuge enfantin. Oui, mais le mythe se prête à plus, et pourquoi la possession d’Amenouzume ?
Dansant à sa propre musique, elle devint possédée
L’oracle a parlé : pour qu’Amaterasu sorte de sa caverne, il faut placer devant l’entrée un miroir de huit pieds suspendu à un arbre, et Amenouzume commence sa danse devant le rocher. Amenouzume, la déesse couronnée de laurier, des vignes pendues à ses manches, de deux bouquets de bambou séché, frappe sur des tambours contre le rocher. Elle frappe, imaginez le bruissement du bambou se mêlant au coup de tambour, en un son éparse et lancinant, accélérant en des ruptures, rythmiques arythmies, Amenouzume danse à sa propre musique, et joue des gestes de sa propre danse, s’oubliant dans son intérieur, possédée. Elle danse et se délace, s’oublie, se dénude dans sa beauté, heureuse. Et les kamis participent de sa joie belle et pure, avec elle ils dansent et rient de se rejoindre dans la musique intérieure.
Les coups de bambou sur les tonneaux échoent dans la caverne, éveillant peu à peu Amaterasu, au monde vibrant, s’insinuant, éveillant sa joie, transposant la danse possédée dans l’universel des vibrations de l'âme. Céleste et possédée est cette musique, elle porte la signature de l'oracle, et monte la clameur de l'assemblée des kamis à cette grâce. Quel est ce prodige ? Quelle est cette beauté qui la pénètre ? Amaterasu fend une fissure dans la roche, elle aperçoit la danse, Amenouzume lui répond : « Nous rions et nous dansons car il y a un esprit ici qui est encore plus magnifique que vous, oh ma divine. »
Amaterasu avance vers elle, rampant, élargissant peu à peu la fissure, et elle la voit, la splendeur de sa propre lumière se réfléchissant dans le miroir. Elle se reconnaît dans son reflet projeté sur la danse possédée, sensuelle, heureuse, s’oubliant dans les radiances de l’universel de l’âme.
Amaterasu se reconnaît
Imaginez la reconnaissance d'Amaterasu sur le corps dansant d'Amenouzume à sa propre musique, rythme des tambours contre la caverne, froissés bruyamment par les bouquets de bambou. Sans intermédiaire, sans langage, Amenouzume s'exprime. Elle pénètre en nous, elle nous transporte, elle nous possède. Elle-même possédée, elle rayonne et se révèle possédée par elle-même, Amenouzume, la déesse couronnée. Dans ce cœur lancinant de musique incessante, il y a de la pureté, simple pureté de l'extase.
C'est Amenouzume qui parle à Amaterasu à travers le rocher, elle lui dévoile la vérité : elle lui a été préférée, la preuve : les rires de joie des kamis. Amaterasu se demande ce qui lui fait défaut et elle découvre une part de vérité : oui, elle aussi, Amaterasu, est attirée par la danse nue d'Amenouzume aux battements de tambour. C'est vrai, c'est véritable, elle accepte cette envie. Il y a là de la libido dans un beau laissé aller qui ne blesse pas. Ce n'est pas Susanoo pénétrant la lissière par intermédiaires. De cette danse tout est bon et véritable. C'est en se reconnaissant dans le désir d'Amenouzume qu'Amaterasu parviendra à la plénitude d'elle-même : réconciliée avec sa libido qui n'est ni Susanoo ni Izanami, mais Amenouzume dansant, belle, à sa propre musique. Amaterasu, vers le miroir, va vers sa semblance, son double. Elle se reconnaît dans l'ombre, Amenouzume dansant hors de la caverne.
Cet esprit qui sort de la caverne vers la complétude de lui-même, dans ce conte populaire qu'est le kojiki, traduction de l'inconscient partagé, est non seulement un rouage de l'individuation, mais un guide comme le sont les contes du cycle de la femme bannie : un bon exemple, un conseil : aller vers la contemplation de la libido dans sa beauté, c'est se protéger des menaces de l'Outremonde et du répugnant Susanoo.
Amaterasu possédée par la danse d’Amenouzume, transportée par le regard
Par la fissure Amaterasu voit son propre reflet se mêler à la déesse plus magnifique encore qu’elle-même. Certainement la danse ne cesse pas, le rire ne cesse pas, les esprits des hauts cieux dansent et rient, secoués par la danse sensuelle, la nudité possédée de sa propre musique, de son intérieur, de sa propre clameur. Nue, Amenouzume danse dans les ténèbres et la multitude des kamis danse avec elle. La possession d’Amenouzume se propage parmi les plaines du paradis et prend possession des esprits.
Est-ce que les kamis peuvent voir la danse d’Amenouzume ? Est-ce un clair de lune ? Ou sont-ils transportés par l'émanation de la danse, faisant fie des cinq sens, par Amenouzume à sa propre lumière ?
Izanagi face à Izanami, Amaterasu face à Ameouzume
Qu'y a-t-il de différent entre l'échec du face-à-face d'Izanagi - Izanami et le succès du face-à-face Amaterasu - Amenouzume ? Je pense qu'il est question de mise en place d'intermédiaires : Susanoo agit par intermédiaires (il projette par le toit le poulain écorché à l'envers, dont la vue surprendra la lissière, qui s'introduira la navette dans le sexe et mourra de la mort d'un esprit / l'orgasme et c'est la vue de cet orgasme qui terrifiera Amaterasa, s'enfuyant dans la caverne), Amenouzume parvient à Amenouzume par intermédiaires : celui inconscient et non narré de la musique des tambours retournés contre le rocher obstruant la caverne, et sa danse faisant rire les kamis, ces rires éveillant la curiosité d'Amaterasu qui fendra une fissure dans la roche et découvrira son propre reflet sur le corps dansant d'Amenouzume.
Une autre explication de la réussite du seconde face à face et de l'échec du premier est de savoir à quelle lumière voient d'un côté Izanami qui éclaire les cavernes de l'Outremonde d'une dent du peigne coiffant sa mèche de cheveux bouclant à gauche, et d'Amaterasu, déesse solaire qui voit à sa propre lumière.
À quelle lumière voit-on ?
Que sait-on du monde ? Des cinq sens, lequel a le plus d'importance dans la conception du réel ? Certainement est-ce la vue. Et la vue dépend de la lumière à laquelle l'on voit. S'il peut y avoir ambiguïté à l'extérieur où les sources de lumière sont multiples, la scène se simplifie dans les cavernes de l'Outremonde ou dans la caverne d'Amaterasu : le réel caché, inconnu, va se révéler à une lumière bien spécifique à la vue du regardant. Nous allons voir à quelles lumières se dévoilent deux femmes : Izanami dans l'Outremonde et Amenouzume dans les Cieux obscurs, des lumières à chaque fois incomplètes qui apprendront, ou non, du réel révélé.
Izanagi dans l’Outremonde
Izanami descend dans l'obscurité de l’Outremonde
Pour m’imaginer la descente d'Izanami dans l'Outremonde, je commence par m’imaginer l'inverse : Izanami se retournerait et verrait une lueur lointaine, faible - ainsi serait le dehors qui le guiderait hors de la caverne. Chaque pas en direction de cette lumière la ferait grandir, et assurément, il retrouverait les plaines de roseau, le monde baigné de lumière et de vie. Imaginez-vous guidé par la lumière comme une bulle remontant, oscillante mais allant assurément, légèrement, à la surface lumineuse de l'eau. Il est ici question de faire le chemin inverse, d'aller contre la pression de l'eau, de s'enfoncer contre tout élan naturel, de vaincre l'élan vital, descendant de plus en plus vers les ténèbres funèbres de l'Outremonde.
Izanagi va à sa vue, par degrés, vers de plus en plus d’obscurité, vers le plus absolu des noirs. Là se trouve le seuil d’un palais. Izanami l’attend. Progressant dans l’obscurité de l’Outremonde, il peut aller au plus sombre du sombre, comme la remontée se ferait vers le plus lumineux du lumineux. Il peut aussi aller à d’autres sens, à l’odorat, à l’ouïe, au toucher. À l’odorat, va-t-il vers la répugnance cadavérique ou aux senteurs de sa bien aimée ? À l’ouïe, allant aux gémissements, aux larmes, peut-être à de douces paroles, ou peut-être aussi aux gémissements de l'Outremonde, prolongeant les échos incessants de la mort d'un esprit. Au toucher, à tâton de la pierre, Izanami est-il guidé vers Izanagi par la froideur de la mort ou par vers la chaleur de ses émois ?
Izanagi, à la lumière de son peigne, voit Izanami
« Incapable de résister à l'envie de revoir son amour, peut-être aussi par curiosité de ce qu'elle était devenue, ou pour s'assurer qu'il s'agissait bien d'Izanami, peut-être saisi par le doute, l'on ne sait pas, Izanagi brisa une large dent de son peigne (celui qu'il portait dans sa mèche de cheveux bouclant à gauche) qu'il changea en torche et, épiant les ténèbres, découvrit Izanami recouverte d’asticots se tortillant et rampant à l'intérieur et à l'extérieur de son corps, et des huit esprits de la foudre. »
À quelle lumière Izanagi voit-il Izanami ? À la lumière du peigne qu’il portait dans sa mèche de cheveux tournant à gauche. Qu'est-ce que cette mèche de cheveux bouclant vers la gauche ? Dans le Kojiki, si la distinction gauche / droite revêt un sens, nous avons peu d'indices autres que celui-ci : Izanagi contourne la pilier céleste par la gauche, Izanami par la droite. L'on pourrait donc supputer que la gauche indique le masculin. (cette latéralité tient également aujourd'hui à l'exemple du Mihojinja : l'autel de Kotoshironushi est à gauche et celui de Mihotsuhime est à droite) Cela aurait pu être toutes sortes d'ustensiles, de broches, de morceaux de ceinture, ou de manche d'épée. Il a fallu que ce soit une dent de peigne qui s'enflamme d'elle-même. Le peigne, tiré de la chevelure, tient de l'invisible de la pensée. C'est à sa simple capacité de compréhension qu'Izanagi voit Izanami. Ce qu'il verra n'aura rien de ce que jusqu'à présent, la voix douce et les paroles d'Izanami lui ont dit, de la flamme d'amour qu'elle a ravivé en lui. Il ne suivra pas son cœur, mais sa raison, la lumière de ce fameux peigne du côté gauche, masculin, rationnel. Et à cette lumière Izanami est d'une laideur inconcevable, plus atroce encore qu'un cadavre, c'est un cadavre vivant, furieux et recouvert des huit dieux de la foudre. La confrontation directe de la raison à l'ombre est un traumatisme insurmontable, il est impensable qu'Izanagi éprouve un quelconque amour pour cette Izanami ainsi révélée.
Il prend peur et il fuit. Les clés que détient son esprit sont insuffisantes pour pénétrer la réalité qui se présente à lui. Il fait la seule chose qu'il puisse faire à cet instant : prendre peur et fuir, repousser dans l'inconscient des profondeurs de l'Outremonde, derrière un gigantesque rocher, les réalités terrifiantes de l'ombre au féminin. Le peigne n'a montré que par une lumière maladroite, laissant danser les ombres effrayantes sur les replis de chaire morte. La confrontation première à l’ombre est laide, elle est dans le cercle tabou. C'était une révélation trop directe, sans les dégradés et les intervalles permettant la mise à distance, la transposition nécessaire à l'acceptation.
Comment les kamis peuvent-ils voir Amenouzume ?
La lumière d’Amenouzume
Souvenons-nous que les kamis qui rient et dansent à la vue de la danse d'Amenouzume sont justement privés de la leur lumière : Amaterasu qui s'est enfermée dans la caverne. Si les kamis voient Amenouzume danser, il faut donc imaginer qu'une autre lumière illumine la scène.
Peut-être que par la grâce de sa danse, par sa possession, emportée par sa propre musique, Amenouzume irradie telle Amaterasu ? Resplendissante, elle danse à sa propre musique et en sa lumière intérieure, de son âme entière irradiant dans un élan fougueux. Amenouzume exprime sa beauté sans pudeur.
Tsukuyomi, la jumelle lunaire
Izanagi donna vie à Amaterasu de son œil gauche (ou regardant un miroir qu'il tenait de la main gauche), il donna vie à Susanoo de son nez, et l'on oublierait presque Tsukuyomi, à qui il donna vie de son œil droit (ou regardant un miroir qu'il tenait de la main droite). L'on sait seulement de Tsukuyomi qu'elle est la déesse de la nuit, elle ne sera plus notifiée ni dans le Kojiki, ni dans le Nihonshoki.
En toute logique, Amaterasu ayant emporté sa lumière dans la caverne, laisse place à la nuit, royaume de sa jumelle Tsukuyomi. La déesse solaire est remplacée par la déesse lunaire et sa lumière changeante, progressant des ténèbres d'une nuit sans Lune vers la douceur enchantée des ombres cendrées. C'est à cette lumière féminine, née de l'œil droit, que s'imagine aussi Amenouzume dansant, nue, telle une prêtresse d'Hécate.
Amaterasu voit à sa propre lumière
Amaterasu est la déesse lumineuse des cieux, elle voit de sa propre évidence, le réel n'a d'autre prétention qu'elle. Elle est tout. Et pourtant c'est toute une dimension d'ombre qui est à l'œuvre, hors de son contrôle, terrifiante. Une ombre incarnée par le terrible Susanoo qui, quant à lui, n'aspire qu'à rejoindre Izanami dans l'Outremonde.
Amaterasu, émanant la lumière, imaginez-vous à sa place : nulle ombre ne peut paraître sous vos yeux. Même enfermée dans une caverne, bien que les ombres paraissent dans les multiples recoins, elle est incapable de les voir. Jamais de son existence Amaterasu n'a vu la moindre ombre, la moindre ténèbre, toujours ses yeux ont irradié alentour la très pleine lumière de la conscience.
Dehors, ce n'est plus les ténèbres, les cieux découvrent une radiance nouvelle : Amenouzume bercée de sa propre lumière emmêlant en elle les rayonnements de Tsukuyomi. Ombre s'est faite lumière et à sa danse les kamis rient d'allégresse. Imaginez les rires prenant de l'ampleur sur l'écho des tambours battant contre le rocher. Amaterasu, piquée par la curiosité, ouvre une fissure et rampe vers Amenouzume, mêlant sa propre image dans le miroir et la danse de la déesse. Amenouzume opère quelque chose d'absolument inédit : elle révèle l'ombre au plein jour.
Le miroir
Quatre reflets
Au fait, chère lectrice, cher lecteur, pourquoi le Kojiki ? C’est que La Dame à la Licorne m'a conduit ici par l’évidence : le miroir de Vue restait une ouverture inachevée. Plutôt que de chercher dans les livres sur le sujet, car ce ne sont pas les études sur la symbolique du miroir qui manquent, j'ai préféré chercher d'autres miroirs. Depuis quelques années je m'intéresse au Japon sans bien le connaître et ce fut l'occasion évidente de me pencher sur Amaterasu et son miroir.
J'ai évoqué quatre occurrences du miroir : Amaterasu apparaît du regard d’Izanagi dans un miroir de cuivre blanc tenu de sa main gauche, Tsukuyomi apparaît du regard d’Izanagi dans un miroir de cuivre blanc tenu de sa main droite, Amaterasu va vers son reflet se mêlant à la danse d’Amenouzume, et Amaterasu remet à son héritier terrestre ce miroir devenu le vaisseau de sa très haute âme.
Commençons par l'apparition d'Amaterasu : d'après le Kojiki Amaterasu apparaît de la purification de l'œil gauche d'Izanagi, d'après une version du Nihoshoki, « (Izanagi s'exclama) Je souhaite procréer le précieux enfant qui devra régner sur le monde. Il prit alors dans sa main gauche un miroir de cuivre blanc, après quoi une divinité fut produite par ce miroir, appelée Amaterasu. » À travers le miroir, l'œil donne vie en se projetant dans l'image.
Elle n’est pas du monde d’Izanagi, Amaterasu. Elle est de l’autre côté du miroir, non-lieu de projections optiques et psychiques. Que contient la gauche de la vision d’Izanagi à cet instant du mythe ? Rappelons-nous : Izanagi est en train de se purifier de son séjour dans l’Outremonde, son œil porte l'empreinte de la vue immonde d’Izanami, les chaires rongées par les vers. Du côté gauche, Amaterasu est la sentence masculine d'Izanami, femme salie par l'orgasme brutal et morbide. En inverse de cette vision, Amaterasu est une Athéna. La libido la répugne, elle brandit son arc sur Susanoo montant l’échelle céleste et quand elle accepte de s’unir à lui, c'est chastement qu'ils échangent des artéfacts de part et d’autre de la rivière céleste.
Juste après avoir donné vie à Amaterasu, Izanagi tenant un miroir de cuivre blanc de sa main droite, Izanagi donna vie à Tsukuyomi : elle aussi est de l'autre côté du miroir, ce non-lieu. Émanant du côté droit, Tsukuyomi est l’opposé féminin, positif, de la vue d’Izanami. À l'immonde vue d'Izanami s'oppose l'anima bienfaisante : nuits de rêves, de dérives intuitives qui portent conseil, féminité d'une obscurité allégée des terreurs de l'Outremonde.
Le miroir de huit pieds est celui suspendu face à la caverne, celui par lequel Amaterasu sera attirée par sa propre lumière se mêlant à celles d’Amenouzume et de Tsukuyomi, se réconciliant avec les belles radiances de l'ombre. C’est le même miroir qu'Amaterasu léguera à son auguste petit fils et sa lignée impériale : le vaisseau de sa merveilleuse âme.
Retour sur la reconnaissance
Au risque de me répéter, voire de me contredire, il me semble nécessaire de reprendre la rencontre d'Amaterasu avec Amenouzume : l'instant de reconnaissance d'Amaterasu avec son ombre. Elle s’accepte dans une décadence, une transe grave et lancinante qui nous conduit dans l’intermédiaire, le non-lieu structurant de l'envers du miroir.
Cet intermédiaire, fabuleux, enchanté, c’est Amenouzume. Amaterasu n’aura plus besoin de la caverne, elle aura acquis les ressources nécessaires pour aller au monde, vaste monde de l’altérité fertile. Une subtile curiosité a éveillé Amaterasu vers la fine fissure et la vision indécise d'une déesse couronnée, dansant, plus belle qu'elle-même. Peu à peu s'est dévoilée la danse à la musique intérieure d’Amenouzume. À l'issue de cette contemplation se mêlant à la reconnaissance de son propre reflet dans le miroir, Amaterasu gardera en son regard de la danse d'Amenouzume, et le miroir gardera l'empreinte de l'âme d'Amaterasu.
Amaterasu a été vers le beau d'une ombre au féminin. Il ne s'agit pas de la confrontation brutale à Izanami putride liée au coït brutal, mais à l'ébauche d'un désir. Amaterasu a contemplé le beau pénétrant de la vision d'Amenouzume, emportée par sa propre musique, mêlant sa propre lumière à celle de la Lune, ombres lumineuses dévoilées.
Allant à cette reconnaissance de beautés intérieures, Amaterasu a également été à la réconciliation avec l'assemblée des kamis qu'elle avait privés de sa lumière. Suffisamment avancée dans la fissure, elle se laissera tirer par la main, elle laissera sceller la caverne, conduite par d'autres volontés que la sienne. Amaterasu se reconnaît dans le monde, elle s'identifie, en somme, à la multitude des kamis.
Amaterasu entre deux miroirs
Amaterasu est dans le reflet du miroir d’Izanagi et elle est dans le reflet du miroir qu’elle nous a légué : elle réside dans l’envers de chacun des deux miroirs, ce non-lieu. Par ce processus d’entre-deux miroirs elle est visible de nous comme d’esprits immatériels, ce qui fait d’elle une habitante du degré intermédiaire des choses, entre le en bas et le en-haut. Un intermédiaire intéressant aussi bien au sens psychologique qu’au sens spirituel.
Au sens psychologique, nous avons vu que l’aventure d’Amaterasu : son agression par gestes interposés de Susanoo et sa reconnaissance par approches successives d'Amenouzume, est dans ce qu’il faut de douceur et d’étapes pour amener sans la brusquer à une rencontre et à une réconciliation de la psyché avec ses ombres. C’est cette réconciliation qui était impossible à la confrontation brutale d'Izanagi avec Izanami dans les cavernes de l'Outremonde : Izanami meurtrie par le brutal feu sexuel du dieu du feu, orgasme violent et sans désir ; Izanagi, animus naïf ne voyant qu'à sa lumière immédiate.
Au sens spirituel, on pourrait dire du miroir d'Amaterasu la déesse solaire qu'il nous illumine, mais en réalité c'est à nous de nous plonger dans la contemplation du miroir, et de cet effort de regard nous verrons Amaterasu comme Izanagi l'a regardée. Nous remonterons dans l'expérience de la pensée divine, celle d'un dieu séparé de sa femme enfermée aux enfers. C'est la larme de ce souvenir qui habita le regard projetant au-dehors, de l'autre côté du miroir, Amaterasu.
À présent, imaginons non pas Izanagi, septième génération des kamis primordiaux, mais l’Essence divine, Essence première à toutes les manifestations, commune à toutes les traditions et toutes les religions. Imaginons aussi un intermédiaire, revêtant la caractéristique de l'immuabilité absolue, de la pure inaltérabilité : absolument identique dans son contact avec le monde d'en-haut de l'Essence divine, et le monde d'en bas de nous, simples mortels. Je trouve que le non-lieu de l'envers du miroir se prête assez bien à cette idée d'intermédiaire. Imaginons à présent la déesse en ce non-lieu de l'intermédiaire, entre deux miroirs : celui qui la sépare de l'Essence divine et celui qui la sépare de nous. La déesse, évoluant dans le non-lieu de l'envers de miroir, est immuable, inaltérable, identique dans la vue de l'Essence divine et dans la nôtre.
Il n'est pas question que de vue, il est question en réalité de lien à la déesse. Ce lien fait de fascination, de désir et d'amour, est absolument partagé entre nous et l'Essence divine, dans ce non-lieu d'envers de miroirs.
Et la femme divine dans tout ça ?
Nous liant à la déesse, nous partageons le lien divin, et de la pareilleté d’Amaterasu dans le non-lieu du miroir, nous sommes un peu en compréhension de l’Essence divine.
Dans l'étude des tapisseries de La Dame à la Licorne, j'ai proposé une définition de la femme divine : non seulement porteuse mais médiatrice du divin qu'elle transmet à celui qui l'aime et la vénère. De quelle façon la femme divine s'intègre-t-elle dans ce schéma d'immuable face à l'Essence divine et d'intermédiaire dans le non-lieu du miroir ? Je ne peux pas répondre comme ça, d'un coup de clavier. Il sera en tout cas intéressant de voir de quelles façons ce schéma interagit. Je pressens que les limites entre prêtresse, femme divine, déesse et Essence divine iront en s'estompant plutôt qu'en se confirmant, que la surface du miroir sera plus malléable que l'on aurait pu le penser. Le regard mi-clos de la dame, estompant la réalité du monde entre ses cils, invite au flou des contours dans ce qui se pressent comme une continuité d'une existence vers l'Essence. L'objet et son reflet importent peu, il s'agit plus d'une transposition de la conscience de l'un vers l'autre.
La déesse est multiple et rejoint les métamorphoses d'Isis la myrionyme : elle est ici Amaterasu, elle est aussi « Cérès, Junon, Minerve, Proserpine, Thélis, Cybèle, Fènus, Diane, Sophia, Bellone, Hécate, la Nature même ». La femme divine également est diverse : dame courtoise, dame des Tapisseries, aussi femmes des contes du cycle de la femme bannie : notamment la jeune fille aux mains coupées ou Blanche neige.
Des zones d'ombres demeurent.
Qui est la dame de Vue : prêtresse, femme divine, déesse ? Il sera question de croire, d'envers ou de revers de miroir, d'au-delà de tapisseries, et d'oubli de notre en-bas, pour habiter notre reflet, fait de licorne drôlement mouvante en inverse de nous.
Quelle place Mihotsuhime joue-t-elle dans cette structure ? Qui sont les mikos, prêtresses shinto, dont la danse rituelle, le kagura, est plus qu'une danse ? Il serait joli que je vous dise comment s'estompent ces degrés entre prêtresse, femme divine, déesse et Essence, par les degrés fascinants d'une possession.
Possédée
Relisons la scène d'Amenouzume dansant devant lacavernee céleste d'Amaterasu : « et Amenouzume « la déesse couronnée des cieux » dansa devant le rocher. Amenouzumue, couronnée de branches de laurier et les bras cerclés de lianes de vigne, prit dans chaque main un bouquet de bambou séché et, sur un tonneau renversé à l’entrée de la caverne, frappa bruyamment. Elle devint possédée à sa musique, montrant ses seins et poussant sa ceinture sous ses parties intimes, faisant trembler les hautes plaines célestes du rire des myriades de kamis. »
Le Kojiki ne nous dit pas par qui Amenouzume est possédée : elle est « simplement » possédée. Au-delà de la dimension de contemplation et non d'agir de l'érotisme et de la féminité révélée à Amaterasu, la magie d'Amenouzume résulte de cette possession, à sa propre musique. Cette possession, je l'ai jusqu'à présent imaginé comme une possession « d'elle-même par elle-même » : par une sorte de lâcher prise et de manifestation de son intérieur le plus authentique, indicible, prenant pleine possession d'elle-même, d'une telle beauté qu'elle révèle la beauté et la joie intime de la myriade des kamis.
Rappelons que la mise en scène de l'arbre devant le rocher obstruant la caverne, le miroir, les prières, le kami prêt à tirer Amaterasu par les poignets et la dans d'Amenouzume, cette mise en scène a été dictée par l'oracle des hauts kamis, sollicités par désespoir de l'assemblée de kamis, ne parvenant pas à convaincre Amaterasu de sortir de sa caverne. Il se peut donc que cette possession, rendue propice par la transe d'Amenouzume, soit une véritable possession, que par cette danse Amenouzume ait invoqué en elle-même une puissance, une volonté divine qui véritablement dépasse la « mightiness » d'Amaterasu. Il y a, tout en haut du panthéon des générations de kamis, une divinité non manifestée, qualifiable en nos termes d'Essence divine, précédant le premier des kamis manifestés : Katamimusubi. Nous pourrions donc imaginer que cette possession d'Amenouzume dansant à sa propre musique est une possession par un esprit que le Kojiki ne peut nommer, l'ineffable, le non manifesté : l'Essence divine.
S'insinuant jusqu'à Amaterasu par le battement de bouquets de bambous à travers le rocher et par les rires de la myriade des kamis, ce ne serait pas seulement l'âme manifestée d'Amenouzume, mais l'Essence divine s'insinuant en cette scène, intimant à Amaterasu l'ordre de redorer les plaines célestes de sa merveilleuse lumière.
Mihotsuhime
Il manque à ma relecture du Kojiki une déesse, que j'ai volontairement gardée à l'écart jusqu'à maintenant : Mihotsuhime. Rappelons-nous, elle est dans une variante du Nihonshoki : « Takamimusubi commanda Okuninushi, lui disant : “ Si vous prenez pour épouse une des kamis de la terre, je devrai toujours considérer que votre cœur est désaffecté. Je vais à présent vous donner ma fille Mihotsuhime pour être votre épouse. ” » Mihotsuhime est notre lien divin, à nous, simples mortels. Alors qu'Amaterasu, léguant son âme à l'auguste petit-fils par l'artéfact de son miroir, est le lien divin de la lignée impériale ; Mihotsuhime le lien de l'humanité aux plaines célestes.
Vous avez peut-être une mémoire fabuleuse, le plus probable est cependant que comme moi vous vous perdiez dans la première proche du mythe et qu'un petit rafraîchissement soit le bienvenu. Je vous propose donc un petit copier-coller du plus haut du texte, au sujet de Mihotsuhime et de son temple actuel, le Mihojinja :
« le Kojiki a son lieu actuel : dans la région de Matsue, sur les rives de la mer du Japon, sur laquelle s'étend la péninsule de Shimane. À l'ouest de la péninsule se trouve le temple d'Izumo, dédié à Okuninushi. À l'est se trouve le temple Mihojinja, dédié à Mihotsuhime et Kotoshironushi. Le Mihojinja, moins grand et moins fréquenté qu'Izumo, mérite notre attention car il est moins étudié que le célébrissime temple d'Izumo, et qu'il est dédié à Mihotsuhime, intermédiaire entre nous et les plaines célestes.
Le Mihojinja est situé dans le port de Mihonoseki, dans une baie indiquée dans le Kojiki : c'est là que Kotoshironushi est parti pêcher et que son père Okuninushi envoie les émissaires célestes lui demander s'il accepte de leur léguer le contrôle de la terre.
Nous avons dit que les noms en japonais ont une signification : Izumo signifie “ la ville qui sort des nuages ”, mais il est plus difficile de traduire Miho qui est dans le nom d'une princesse (Mihotsuhime), d'un port (Mihonoseki) et d'un temple (Mihojinja). Heldt nous donne la lecture suivante de Mihonosaki, où Kotoshironushi est parti pêcher : mi (honorable) - ho (plumage) - no (suffixe possessif) - misaki (cap). Mihonosaki se traduirait donc par “ vénérable plumage ”. Et il y a en effet là-bas, au temple Mihojinja, de beaux aigles appelés tombis, qui poussent leur cri en écho au kagura. »
Si d'aventure vous alliez aujourd'hui au Japon, à l'est de la péninsule de Shimane, vous trouveriez ce temple de Mihojinja. Il est entre les collines et la mer, et deux fois par jour, une miko exécute un kagura. Au cours d'une cérémonie, d'abord un prêtre dépose devant l'autel de Kotoshironushi, situé sur la gauche, une assiette d'offrandes, et entonne une prière. Ensuite, à la musique d'une flûte et d'un tambour, commence le kagura : danse de la miko. La miko est la prêtresse shinto, vêtue d'un kimono blanc sur une robe rouge. Le kagura n'est pas tout à fait une danse, il s'agit d'un mai, une sorte de danse au ralenti dans laquelle les gestes lents se succèdent sans interruption dans une vitalité continue dans une nature étrange. La lenteur de ces gestes va avec les frémissements ou les battements brusques du bouquet de grelots. D'une main la miko tenant ce suzu, bouquet de grelots de cuivre, et de l'autre une branche verte de feuilles habituellement offerte en offrande aux autels. Par son kagura, la miko invoque l'esprit, et de ses lents gestes de prières elle dispense alentour l'influence divine.
C'est ce qui se passe dans la forme, deux fois par jour, devant l'autel de Mihotsuhime, au Mihojinja. Certains jours toutefois, certaines mikos, certains kaguras, prennent une tournure subtilement différente. Répondant à sa propre musique et à son propre mai, la miko en tout cas la tradition le prétend, devient possédée. Est-ce que cette possession persiste aujourd'hui ? Ou est-elle un mythe transmis par les ethnologues et folkloristes d'aujourd'hui ? Rappelant que le kagura remonte aux temps premiers du shinto, lorsque les mikos menaient plus littéralement la danse de cette religion, avant de prendre la tournure d'une religion tenue par un patriarcat de prêtres ? C'est une question de croyance. Ces folkloristes nous disent que le kagura remonte à la danse d'Amenouzume devant la caverne. D'autres nous expliquent ce qu'est le chamanisme : l'exécution par la chamane, d'un rituel précis, appris, répété et encore répété, un rituel complexe, exécuté au geste près, ayant pour fin d'appeler sur la shamane la possession d'un esprit.
Imaginez alors cette danse lente en gestes incessants, envoûtante beauté de la miko portant sur les choses un regard d'un ailleurs. La miko, emportée par le frémissement des grelots, répondant et guidant le tambour et à la flûte par ses gestes et par sa musique, projette alentour l'intimité de son âme, son regard devance les choses, voyante d'un ailleurs, dansant dans l'irréel envers du miroir. Comme portée dans ses gestes par la déesse Mihotsuhime invoquée par sa ressemblance, beauté ineffable de la prêtresse de l'autre monde, immuable dans notre ici et le là-bas, envers délicat du miroir, dévoilant la faible et fragile condition de ne pas questionner les lents gestes qui transportent la confusion des espaces et des lieux, menant en reflet notre humble existence avec la miko, à la fois prêtresse, femme et déesse, guidée par Mihotsuhime, liens intiment raccourcis en la miko qui nous rejoignent en elle, nous laissant bercer dans sa gestuelle comme si de nous-mêmes nous dansions en elle, désir et beauté d'Essence dansant à notre regard. Resplendissante beauté. La danse s'achève, la prêtresse humblement retrouve sa place, la déesse rejoint son temple au-delà de l'autel et nous joignons humblement les mains devant la grâce.
Derrière l'image
L'image se touche
dans le regard de la licorne, lion au-dehors
aigle bleu survolant l'unique corne,
appendu aux ententes en stupeur,
par le miroir et par le feu,
par l'étoile au dedans, à la neuvième heure et à la seconde,
sous le cerisier la passante,
s'il le faut, le tout ombrira l'invisible
L'origine des noms
Aowashi Suzuki : c'est une des premières rencontres à l'arrivée sur le site : après la projection en diapositive de la tapisserie Goût dans l'entrée de mon chez moi, c'est le contact : ao.suzuki@6tapisseries.fr ; et quelque part, ne serait-ce que sur la couverture du livre, la signature entière : Aowashi Suzuki. Lorsque j'ai écrit cette étude 6 Tapisseries, je n'avais pas encore choisi de pseudonyme, c'était « à voir avec l'éditeur ». Il n'y aurait finalement pas d'éditeur, une signature décidée au moment de la création du site en janvier 2024 et ce site qui deviendrait mon média à partir du printemps 2024, s'enrigissant dans la rubrique A part, ensuite rebaptisée u-topos.
Je n'ai jamais habité ce nom. Il en fallait un. Je signe juste mes mails Ao, ou parfois de trois tampons : Ao - Aigle - L'aurore sur un village boisé. Aowashi Suzuki invoque une ambiance, un endroit qui tient du passé et de l'imagainaire : dans le ciel apparaît un aigle bleu, presque indiscernable sur le bleu du ciel, ses contours apapraissant et s'estompant tels un reflet. Il est invisible l'aigle bleu sur le bleu du ciel : en japonais ao signifie bleu et washi aigle.
Suzuki est suzu de la clochette du grelot des mikos dansant le kagura ou plus universellement le tintement d'une clochette qui sanctifie l'air en un bref sanctuaire propice à la prière. ki signifie arbre : car c'est au coeur de la nature que s'imagine cet endroit du Aowashi Suzuki. Il n'est nul-part de réel, dans mon imaginaire il est sur le seuil du temple Mihojinja au port de Mihonoseki, il n'est toutefois nul-part littéralement, il est dans le regard bref d'une prière.
La fenêtre sur l'éternelle de cet endroit est dans une sorte d'indéfini temporel et d'espace qui tient plus du non-lieu de l'envers du miroir que de coordonnées sur une carte et de sa date. Le non-lieu : l'u-topos, emprunt à Utopia de Thomas More. D'Utopia il y aura d'autres emprunts auxquels je donnerai une dimension dont j'ignore si More les espérait : la ville invisible ou enténébrée d'Amaurote, la rivière sans eau Anhydre, et l'idée que tout cela en ce lieu à la fois parfait et nul-part d'Utopia, née du projet fou de détacher une péninsule du continent : former une autonomie de pensée tirée de la pensée générale, une île dont l'on n'exigera pas la cohérence, ni cohérence intrinsèque, ni cohérence extrinèque, simplement la fantastique chose d'exister dans sa forme si unique de perfection.
Aowashi Suzuki n'est par conséquent pas un nom mais un endroit, un non-lieu. À quoi sert-il ? C'est de là, et non en ce nom, que j'écris ce qui figure dans la section u-topos du site, et plus l'on pénètre dans ses miroirs, en touchant l'image comme il faut, plus l'on pénètre dans les couloirs du terrier ou dans les jeux de miroirs et de reflets de reflets, et plus j'écris depuis ce non-lieu où s'imagine un aigle bleu invisible irrisant finement de son vol le bleu du ciel. Pourquoi un oiseau ? Car le oiseaux sont nos liens avec le Ciel. Et pourquoi un aigle ? Car ils sont au Mihojinja, ils y planent et leur cri se mêlent aux grelots du kagura. Le cri de l'aigle qui est le message adressé au prince par ses parents célestes (cf l'Hymne de la perle), par la lettre qui prend la forme d'un aigle dont le cri réveille le prince et lui souvient sa mission de ramener la perle.
D'ici j'imagine l'envers du miroir de Vue, les entremêlements de la licorne qui s'habille dans le reflet du miroir, la dame, intermédiaire immuable entre les deux mondes, le troisième lieu du contretent, la pureté des superpositions de lumières de couleurs, l'or de voiles superposés développés dans l'obscur d'Amaurote, la rivière inconsiente du reflet sans eau - Anhydre, le fin poignet glissant de la gymnaste dessinant la ligne au centre de la spirale, les prières à l'Altesse en ses déclinaisons multiples, autant de couleurs, de fragment de la coupole polarisante, hymnes à Sophia, à la Vierge, à la Chekinah, à Ellen, aux six Dames, à Amenouzume, Amaterasu, Mihotsuhime, Izanami.
C'est tout cela par la suite qui remonte dans mon monde quotidien par reflets dorés et brefs sur la Seine franchie en métro, l'appel d'un cerisier, le chant d'une perruche. C'est à présent les vendredis et les cacahuètes par couples dans leur coque, qui alimentent le mystère du verbe. Et quoi encore ? Des reflets incessants de miroirs en miroirs. Et des hasards, des lancers de dés, des 22:8, un jeu de piste dans le terrier. Et encore et encore, et encore.
Avec une notice : là où 6 Tapisseries a été relu et archi-relu, u-topos est lancé, parfois relu, parfois non, souvent ce sont des copier-coller de mails adressés à mes friends avec la brutalité d'un éblouissement.
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